1995 – Marie de la Trinité – P. Jean Beyer
Introduction
On m’a demandé de vous parler de Sœur Marie de la Trinité. Ce que je fais d’autant plus volontiers, que je l’ai connue à partir de 1959 jusqu’à son passage en éternité, le 21 novembre 1980.
Sœur Marie de la Trinité est une source de renouveau doctrinal et un exemple de vie intérieure profonde. Elle fut prise en Dieu, dans une lumière qui l’a maintenue en adoration. N’ayant fait ni études philosophiques, ni théologiques, elle fit effort pour exprimer ce qu’elle vivait. Cette vision fut d’une telle richesse qu’il lui fallait trouver une terminologie exacte pour l’exprimer. Cette vision devint alors le fondement d’une prière simple et paisible, qui la mène à vivre enfin sa vocation contemplative, à partir de 1971, à Flavigny, en ermitage – « La Cambuse » – où son silence fut le signe lumineux du mystère qui l’absorbait.
Ses écrits actuellement publiés, connaissent une faible diffusion (1). La cause en est avant tout le manque de préparation des fidèles pour comprendre le mystère primordial de notre foi. On parle peu de la Sainte Trinité ! On étonne les chrétiens, si on leur dit qu’une vie chrétienne est vie « trinitaire ». Sœur Marie de la Trinité nous fait voir cette vie trinitaire.
C’est en filiation divine qu’elle la vit comme sacerdoce personnel.
Plus on approfondit ses exposés, mieux on admire son parcours spirituel : une vie en Dieu vers laquelle elle est attirée par Dieu le Père pour vivre en son Fils, son sacerdoce d’amour.
Nous parlerons d’abord de sa montée vers Dieu pour voir, à partir d’elle, la filiation divine où se situe ce sacerdoce personnel qu’elle a vécu, et qu’elle nous engage à vivre selon les dons de la grâce divine.
I. Prise en Vie Trinitaire
Toute l’expérience de Sœur Marie de la Trinité dépend d’une « grâce initiale » qui l’absorbe en Dieu. A lire les relations qu’elle en fait, on voit comment cette vision fait l’unité de sa vie et de sa doctrine, jusqu’à comprendre la solitude contemplative qui en fut le couronnement (2).
L’expérience qu’elle fit en cette occasion est marquante. Dieu est tout d’abord « Père ». Elle est saisie en lui ; elle devient capable d’opérations qui la dépassent. La puissance du Père peut opérer en elle tout ce qu’il veut, tout ce qui lui plait. Le Père ne lui demande qu’un « oui » à cet attrait d’amour.
C’est le Père qui ensuite lui révèle le Fils, Verbe éternel, mais selon ce qu’il est, lui, le Père. Le Fils se voit en la connaissance et l’amour du Père ; le Fils reçoit tout du Père. Elle voit la béatitude du Père d’être Père du Fils, et comprend l’amour du Père pour son Fils.
Elle nota un trait important de cette expérience. Elle voit d’abord le Père seul ; elle était en lui, « in sinu Patris » (Jn 1,18). Et quand le Père lui révèle le Fils, elle connait mieux le Père, car le Fils est s« plendeur de sa gloire et le rayonnement de sa substance » (Heb 1,3) ; « l’Image du Dieu invisible » (Col. 1,15).
Et sa vision se poursuit : il y avait du Père au Fils et du Fils au Père une « étreinte d’amour ineffable ». Elle fut prise dans cette étreinte, béatitude et plénitude de vie. Cette étreinte est l’Esprit Saint.
C’est alors qu’elle vit l’âme – pas telle ou telle âme – mais l’âme selon sa réalité dans l’amour du Père. Le Père l’a faite pour lui, il l’a rendue capable de lui, elle est pour lui.
Elle voit comment tout en l’âme est pour le Père. Puis elle voit ce que le Père veut donner aux bienheureux : la vie éternelle. Cette vie éternelle, c’est lui, le Père dont toute vie procède. Elle connut ainsi l’âme humaine selon ce qu’elle est dans les desseins et la sagesse du Père. Tout en l’âme est vécu pour la gloire du Père. Elle voit ce que le Père veut donner à l’âme, elle voit ce que l’âme est pour lui, par lui. Tout cela elle le voit comme amour du Père, sans autre motif que cet amour, amour tout-puissant, perfection et plénitude de Vie.
Prise dans la lumière du Père, elle comprit toute la gravité du péché. On ne peut le savoir que dans la mesure où on connait la Vie.
Ayant vu le contraste entre la vie du Père et le refus qu’est le péché, elle fut comme plongée dans l’expérience de l’Incarnation du Verbe de Vie. Le Père l’avait élevée et prise en lui ; maintenant elle voit le Père s’incliner sur la bassesse humaine en envoyant son Fils. Ce Fils, elle l’avait connu dans le Père ; le Père avait mis en lui toutes ses complaisances. Ce Fils fut uni à notre nature. Celle-ci fut remplie des splendeurs du Père. Aux yeux du Père, notre nature devient toute autre ; elle participe à la vie de son Fils ; le Père l’aime de l’amour dont il aime le Fils, pour l’éternité.
Ayant vu l’amour du Père pour le Verbe Incarné, Marie de la Trinité voit l’amour du Verbe Incarné pour le Père. Elle voit cet amour du Fils étemel, assumant notre nature en lui. Cet amour le Père le reçoit ; il hii est souverainement agréable. Le Père lui fit connaître ce qu’est cet amour. Elle voit que tout est du Père au Fils et du Fils au Père dans une étreinte d’amour, en union personnelle de FEsprit-Saint.
Vient alors ce moment unique qui fait la profondeur de la vie humaine en Dieu. Elle vit le Verbe Incarné par volonté du Père – volonté d’amour – après avoir assumé notre nature, l’avoir montée en lui, à une hauteur infinie, descendre, s’abaisser jusqu’à nos péchés, les prendre tous, les réunir tous en lui, les porter, s’en charger en un amour ineffable et en totale soumission à son Père. Tous nos péchés le blessèrent d’amères souffrances. Elle connut ce qu’est le péché et ce qu’est la miséricorde. Elle reçut la connaissance du Christ Jésus. Ses yeux se plongent dans cet abime de souffrance et d’amertumes. Elle eut le désir de s’y plonger aussi. Elle en demande la grâce.
Elle voit le Christ souffrant, tout à son Père, fixé sur lui, pour voir son bon plaisir, faire ce qui plaît au Père (Jn 8,29), afin que le monde reconnaisse qu’il aime le Père (Jn 14,31).
Elle voit dans cet amour infini, qu’il n’y avait pas de péché qui ne puisse être effacé et pardonné ; tous étaient expiés, en une seule fois. Pour chaque âme il fallait l’application de cette expiation.
Enfin elle fut ramenée en Dieu. Elle vit que par le Christ les pécheurs sont sauvés, elle vit que le pardon est infini ; que le Père désire ce pardon, qu’il veut pardonner, ne plus se souvenir du péché parce qu’il a fait les âmes pour la Vie.
Ces lumières permettent de voir comment Marie de la Trinité a vu et vécu ce qu’est la filiation divine du Verbe Incarné et la puissance de son sacerdoce ; comment le Christ, Fils bien-aimé, est victime, hostie offerte, prêtre qui adore en nous et qui nous prend en lui pour nous offrir avec lui à son Père, fl faut, comme le fit Marie de la Trinité, voir ce qu’est pour nous la filiation dans laquelle le Père nous unit à son Fils et ce qu’est ce sacerdoce personnel » qui permet au Christ d’adorer en nous son Père et de nous offrir à son Père, avec lui.
Ces deux points feront maintenant l’objet d’une réflexion plus particulière ; ils sont essentiels au message que nous laisse Marie de la Trinité.
II – Assumée en filiation divine
Marie de la Trinité, comme nous l’avons vu, a été prise dans la Déité. Le Père l’a prise en lui A partir du Père elle a vu le Verbe, Fils tourné vers le Père. Sa filiation est cet attrait vers le Père, source de toute Vie. Cet amour filial sera vécu par le Verbe fait chair. En cette montée du Verbe Incarné l’humanité est tout’ entière assumée ; dans et par la Sainte Humanité du Verbe fait chair, l’humanité reçoit et vit ce don de filiation.
L’Humanité du Christ, élevée en la Personne du Verbe, est prise en elle ; le Verbe se communique en elle ; il la prend toute en hii.Cette puissance infinie d’amour nous prend tous en lui, le Fils.
L’Esprit Saint – étreinte d’amour du Père au Verbe et du Verbe au Père, – élève l’Humanité du Christ en la personne du Verbe et élève ainsi toute l’humanité en Dieu, unie au Verbe, lui-même pris dans et par le Père.
Cette contemplation a un rôle spécial dans la vie de l’Eglise. Elle n’anime pas seulement l’action apostolique ; elle est de soi nécessaire pour l’Eglise. Sont ainsi nécessaires en Eglise « des contemplatifs par vocation spéciale », contemplatifs qui puissent être directement instruits par Dieu sur ses mystères, selon ce qui lui plaît, de les rendre toujours plus intelligibles. Ces contemplatifs ont une mission et un message concernant l’objet de la foi, vérité toujours identique, la Déité et ses mystères, mystères de sa vie intime : génération éternelle du Fils et spiration de l’Esprit, relations et propriétés des personnes divines, mais aussi mystères de sa vie externe, la création et le gouvernement du monde, le salut du genre humain. Ils permettent à l’Eglise, selon les vues de Dieu, de s’ouvrir à la réalité de la foi, non seulement à la pensée qu’elle en a, mais à la Vie qui exprime cette réalité tout en l’éclairant. Et de noter que les expériences sont plus intérieures, les lumières plus communicables.
Voulant mieux situer la filiation du Verbe Incarné, il faut, dans la sainte Humanité du Christ, distinguer comme une double face, celle qui regarde le Père, face qu’est pour le Fils toute perfection, toute splendeur, et pour le Père toute pureté, sainteté dans la plénitude et l’intimité de Dieu. Immobile aussi la Sainte Humanité dans l’assomption consommée, dès le premier instant, dans la totale adhésion d’elle-même à ce quoi adhère éternellement le Verbe qui l’assume comme Verbe Incarné. Cette face est la face glorieuse de la filiation.
L’autre face de la Sainte Humanité du Christ, la face de la terre, n’est pas celle de la filiation mais du sacerdoce ;un sacerdoce d’expiation et d’immolation.Cette face qui considère la terre, la création, la rédemption est une face d’humilité et de compassion, de douceur et de patience, face de pauvreté, de dénuement, d’impuissance. Face laborieuse, face obéissante et soumise à toutes sortes de dépendances, face de toute les miséricordes.
Au-delà de ce qu’est l’Incarnation, il faut contempler ce que fut la passion, la croix qui mène à la résurrection.Cette face est celle du Christ méprisé, bafoué et frappé, face du sacerdoce d’expiation et d’immolation, face de toutes les douleurs, de tous les abandons ; face de faiblesse et de détresse, face de l’agonie.
Le Père voit ces deux faces du Verbe Incarné, il unira l’une et l’autre ; il est glorifié par l’une et l’autre.Nous participons déjà à ce qu’est la face de la terre ; la face de la gloire est anticipée en nous par la grâce de la filiation, mais de façon cachée et secrète, qu’il ne nous est pas donné de discerner et qui pourtant est toute glorification du Père.
Filiation et Sacerdoce ont conjointement un rôle essentiel dans toutes les actions de Notre Seigneur.Toute sa vie n’a été que fidélité aux mouvements de filiation et de sacerdoce. Sa filiation et son sacerdoce lui étaient toujours présents ; il en était pleinement pénétré. En tout semblable au Père, n’étant qu’un avec lui, il était d’autre part en tout semblable à nous, selon la même nature humaine.
Ici s’impose une réflexion de Marie de la Trinité. Comment vivre cette filiation du Christ, qui nous prend en lui pour être fils dans le Fils, Fils du Père ?
Si l’amour du Père est un amour qui aspire à lui, c’est qu’il ne peut y avoir d’autre forme d’amour dans le Père. Le Père est principe, attrait, fin et plénitude essentielle.
La génération du Verbe est causée par le Père, par ce qu’il est lui-même, en lui-même et pour lui-même. Le Verbe Incamé, par la sainte Humanité assumée dans le Christ, assure notre union à Dieu, à la Déité ; elle est toute intérieure, non plus extérieure comme créature, mais intérieure aux relations du Père au Fils. Notre union au Père est proportionnée aux relations finales du Verbe au Père.Notre union à la filiation du Verbe est due à l’Incarnation du Verbe. En assumant l’Humanité, le Christ unit à sa filiation ceux qu’il s’est agrégés.De ce fait, notre religion, culte de Dieu, d’extérieure – de créature à Créateur – est devenue ultérieure – de Fils au Père – car en ce Fils nous sommes unis au Verbe, le Fils, et par lui, au Père. Marie de la Trinité souligne cette intériorité filiale, lorsqu’elle reprend certains textes de l’Evangile : « Le royaume de Dieu est en vous » (Le 17/21), ou encore « Prie ton Père dans le secret » (Mt 6/6).
Cette assomption de l’Humanité par le Verbe ne dépendait pas d’un consentement intérieur ; elle était volonté du Verbe qui voulait assumer la nature humaine en sa Personne divine. Ce mystère était dans les desseins du Père ; il était nécessairement dans la volonté du Verbe. C’est pourquoi l’union au Verbe et à la Déité, fut consommée d’un seul coup, en totalité et perfection.
Au plan humain l’incorporation et la sanctification en ce Verbe Incarné sont un mystère encore inachevé, selon la fidélité ou l’infidélité des créatures. Ce mystère, en chaque créature, est en progrès ou en régression, car il a plu au Père que nous y coopérions pour nous-même et pour le genre humain, chacun selon sa vocation, au service de laquelle nous devons ordonner toutes les puissances de notre nature humaine. Et Marie de la Trinité de citer ce texte de Saint Paul : « Chacun, pour sa part, nous sommes les coopérateurs de Dieu » (1 Cor 3/9).
Tout ceci reçoit dans les écrits de Marie de la Trinité sa pleine explication, lorsqu’elle considère le sacerdoce du Verbe Incamé et notre sacerdoce personnel, vécu dans et par celui du Verbe fait chair.
III – Vivre le « sacerdoce personnel »
« Sacerdoce personnel », l’expression est de Marie de la Trinité. Elle est exacte, et spirituellement plus réelle. Elle dépasse une réflexion conciliaire sur le sacerdoce des fidèles, dénommé « sacerdoce commun », sacerdoce à mieux voir par rapport au sacerdoce ministériel, sacerdoce personnel qu’exercent tous les chrétiens comme fidèles en Eglise, prêtres et évêques compris.
Le sacerdoce personnel est vécu comme l’expression d’une grâce divine, qui fait de tout baptisé un fils de Dieu et le mène, selon les vues de Dieu, dans l’intimité de la vie divine.
A le bien comprendre, ce sacerdoce personnel est essentiel à la vie chrétienne ; il est en lien profond avec le sacrifice unique du Christ Rédempteur, mort et ressuscité, élevé à la droite du Père. Ce sacerdoce personnel est vécu selon l’intensité de la grâce du Père, de la manière dont le Père unit un fidèle à son Fils unique pour vivre en lui et avec lui, ce qu’il est : prêtre, victime, autel du sacrifice éterneLEn parlant de sacerdoce personnel », Marie de la Trinité souligne le don personnel qu’il suppose selon la grâce reçue, la mission confiée, l’union au Verbe fait chair, union voulue par le Père et vécue en l’étreinte de l’Esprit d’amour.
Le sacerdoce ministériel, lui, ne confère pas cette union filiale, fl est un service ; un ministère sacramentel, exercé par le Christ lui-même ; le ministre en est l’instrument.
Vu cependant le pouvoir exercé par les ministres sacrés de l’Eglise, Marie de la Trinité fait remarquer que ce sacrement a été mis en évidence jusqu’à négliger le sacerdoce personnel dont sont porteurs tous les fidèles, prêtres et évêques compris. Ce sacerdoce personnel est vécu par ces derniers « s’ils imitent ce qu’ils exercent », en voulant être tout à Dieu en Jésus Christ,en fidélité à l’Esprit d’amour, l’Esprit Saint. Cette rectification est importante. Elle ne diminue pas la valeur du sacerdoce ministériel, mais elle fait voir comment le vivre en union au Christ en vie filiale et offrande d’amour.
Ces aspects du sacerdoce ministériel et personnel, sacramentel et spirituel doivent être considérés ici pour obtenir ainsi la pleine vérité sur ces valeurs essentielles de la vie ecclésiale, tant pour les ministres sacrés que pour tous les autres fidèles.
Vingt ans avant le Concile Vatican n cette doctrine était rarement développée, plus rarement encore inculquée aux fidèles. Après Vatican n l’a-t-on vraiment enseignée ? Ce sacerdoce personnel est constitutif de l’être chrétien. Le Concile a en effet souligné le caractère proprement sacerdotal de la vie chrétienne comme sacrifice, offrande, immolation, comme continuation du sacerdoce du Christ en ses membres, sacerdoce qui s’actualise d’une manière unique en Eucharistie mais se réalise dans tous les actes de la vie. Après Vatican H, l’attention des fidèles a été plus fixée sur la possibilité d’un appel à des ministères « institués« , comme participation au sacerdoce ministériel. Mais le sacerdoce « personnel » est plus important, n unit à la vie divine selon les dons et les grâces reçues. Dons et grâces de nature personnelle.D’où concluait Marie de la Trinité : nulle envie de participer au sacerdoce ministériel pour qui comprend la valeur du sacerdoce personnel. Comme femme, elle ne regrettait pas de ne pas être prêtre ordonné. Elle était prêtre en ce que le terme a de phis essentiel, de plus parfait, de plus configurant au Christ, de plus éternel.
Et de noter très justement que l’efficacité des actes du sacerdoce ministériel ne dépend pas de soi de la fidélité du ministre. Le ministre du sacrement n’a pas à communiquer ce qu’il a ; il est l’instrument du don que fait le Christ de sa personne et de sa grâce.
Tout ce qui dans l’exercice du sacerdoce ministériel est participation personnelle du sacerdoce du Christ n’est pas d’une autre nature que le sacerdoce personnel. Aussi le sacerdoce du prêtre et de l’évêque n’est dignement exercé que si le ministre ordonné ,,vit ce qu’il fait » (P.O. n. 13 c). n ne peut le faire qu’en vivant le sacerdoce personnel. Vu dans cette optique évangélique, le sacerdoce ministériel est, pour le ministre ordonné, une invitation au développement de la grâce filiale comme sacerdoce personne. D’où l’importance d’un approfondissement du sacerdoce personnel selon la vision qu’en avait Marie de la Trinité. Sont ici engagés tous les chrétiens, prêtres et évêques et les autres fidèles.
Tout baptisé – selon le sacrement ou selon le désir – reçoit du Père les mêmes dons qu’il a fait au Verbe Incarné ; par son incorporation à lui, il reçoit du Père le don de filiation ; de ce fait nous recevons du Père le don du sacerdoce, sacerdoce réel, personnel. Pour être vécu, ce sacerdoce ne doit pas être assimilé à un sacerdoce rituel, liturgique, cultuel.
Sacerdoce et filiation constituent ainsi la situation fondamentale du chrétien qui « a reçu l’onction » c.à.d. la Parole du Christ agissant par l’Esprit, Parole donnée aux croyants qui ainsi connaissent la vérité (1 Jn 2,20 ; 27). Le sacerdoce consacre l’homme au Père, la filiation l’unit au Père.Le sacerdoce du Christ vient du Père tout comme la filiation divine ; la nature humaine du Christ est en effet assumée dans la personne même du Verbe.Filiation et sacerdoce sont donc les deux grands dons du Père au Verbe Incarné, le premier selon les Personnes dans la Trinité, l’autre selon la création, n importe de faire connaître ces dons, ceci pour notre salut, pour la vie de l’Eglise, pour la gloire de Dieu.
Nous n’allons qu’à Dieu que s’il nous attire : le Père envoie son Fils et nous attire à lui ; avec le Fils on vit le sacerdoce personnel afin de tendre au Père et d’être reçu par lui.
Dans cette vision trinitaire on voit ce que sont en ce sacerdoce personnel l’immolation et l’expiation. L’immolaiton n’est ni désappropriation, ni renonciation ; dans l’immolation la créature humaine reste en pleine possession d’elle-même. L’acte suprême du sacerdoce est l’immolation. Les saints mystères sont au sommet du sacerdoce ordonné et du sacerdoce personnel ; mais avec cette différence : le sacerdoce personnel procure l’extension de l’immolation sacerdotale aux membres du Verbe Incarné tout au long de leur vie ; ce qui n’est pas le cas du sacerdoce ordonné. L’immolation du célébrant et des participants ne s’opère en eux que dans la mesure de leur consentement personnel au sacerdoce du Verbe Incarné.
Cette immolation est toutefois ordonné à quelque chose qui la dépasse, le don au Père. Ce qui est de conséquence pour l’exercice du sacerdoce personnel, tant sur terre que dans la gloire. L’immolation prend forme d’expiation quand Dieu est offensé par le péché. L’immolation sur terre passe par des immolations partielles dont la faiblesse humaine multiplie les occasions ; elle tend à l’immolation totale qui rejoint finalement l’adoration. Cette activité d’expiation dans l’immolation est salutaire ; elle est nécessaire, vu les dons de sacerdoce et de filiation qu’ont reçus les baptisés. Elle leur permet de rendre à Dieu un hommage parfait selon qu’ils en sont comblés, tout en étant infidèles et coupables.
L’adoration appelle l’expiation. Cette adoration sera un jour, tout comme le sacerdoce de gloire, sans mesure. Elle sera fixée sur Dieu. Toutefois c’est une satisfaction complémentaire pour l’adoration, d’offrir au Père l’expiation et pour le baptisé d’éprouver l’expiation dans son adoration. D’ailleurs tout acte pénitentiel procure à l’âme une satisfaction de justice, de religion, de paix, paix qui va jusqu’à pénétrer son adoration, paix qui se fond dans celle que le Père répand en nous à la faveur de l’adoration.
Au-delà de la louange, l’adoration se réfère directement à la plénitude du mystère divin. L’adoration atteint jusqu’au plus profond le mystère de Dieu. Seul le Christ est l’adorateur parfait parce que par la personne du Verbe son adoration est adéquate ; lui nous donne, à cause de son union hypostatique à l’humanité qu’il a assumée, d’adorer dignement.
Et de noter que l’Eucharistie, comme le salut, est phis un mystère d’adoration et d’union que d’expiation. Le sacerdoce de gloire est comme au-dessus de l’offrande, car l’offrande est, de soi ,au niveau de la nature créée. Dans la plénitude du sacerdoce de gloire, le sacrifice aura disparu, n ne restera plus que l’adoration. Tout sera fixé sur l’adoration. Cette adoration pénétrera, par la personne du Verbe et le mouvement de l’Esprit-Saint, dans les profondeurs invisibles du sein du Père, profondeurs que seule pénètre la science divine incréée.
Quand tout sera fait ce qui est à faire sur terre, restera à faire tout ce qui est à faire au ciel pour le Père : adorer, louer, rendre grâce, s’immoler dans des transports d’exultation. Et cela pour toute l’éternité. Et Marie de la Trinité conclut en citant les textes qui décrivent cet état de vie en Dieu : 1 Cor 15.24 ; 28 ; Apoc 7.9-12 ; 19.1 ; 7.
Tout ce qui, dans la béatitude céleste, s’épanouit en plénitude, a son germe, son anticipation sur la terre. La béatitude, nous dit Marie de la Trinité, n’est pas le temps des dons mais leur manifestation glorieuse. Le sacerdoce de gloire sera combien actif ! Ne convient-il pas que, déjà sur terre, les baptisés s’offrent pleinement à ses exigences, qu’ils lui apportent leur coopération par l’expiation, l’immolation, l’intercession, anticipant ainsi ces opérations glorieuses de l’éternité ?
Ainsi se termine l’exposé de ce que fut pour Marie de la Trinité la connaissance et l’exercice de son sacerdoce personnel ; ce qui nous permet et nous invite à le vivre toujours plus consciemment et plus intensément.
Conclusion
En reprenant la doctrine de Marie de la Trinité, on peut voir comment sa théologie éclaire sa vie spirituelle. Sa vision l’attire dans les profondeurs divines où le rôle de Dieu le Père nous apparaît en une lumière nouvelle. Ce visage du Père est peu connu ; le Père est origine de tout don, plénitude de vie, amour éternel. A partir de la paternité divine, s’éclairent la vie filiale du Verbe Incarné à laquelle le Père nous unit et le sacerdoce du Christ qui nous permet, à titre personnel, d’être prêtre en filiation et fils en offrande d’amour.
A voir ce qu’a vécu Marie de la Trinité, on ne peut que conclure que la ,JDéité » est pour elle sa demeure, son milieu de vie. Cette grandeur de Dieu est, en sa vie personnelle, un attrait et un appui, une force et un détachement, une exigence de silence et de solitude.
Ce qui étonne est le fait que Marie de la Trinité ne fit pas état des grâces reçues, des lumières qui la fixaient en Dieu, des révélations dont ses textes sont des approches mais qui ne peuvent exprimer tout ce qu’elle a vu et vécu. Son silence fut r« espectueux, » comme elle dit, du mystère que Dieu lui fit connaître, gratuitement.
A ce propos elle fit remarquer qu’il faut la lumière de la foi et les dons de l’Esprit pour se livrer à cette vision divine. C’est pourquoi, dit-elle, il faut tant prier. Phis une vocation est filiale, plus il faut de prière, une prière de qualité, et cela encore est une grâce du Père.
Pour nous tous, trois points importants forment l’essentiel de son message :
Tout d’abord, notre vie est trinitaire. il faut la situer et la vivre dans les relations divines.
Ensuite il faut voir la Paternité divine, comme source de toute Vie, de tout don, de toute grâce.
Enfin, notre vie filiale doit être « sacerdoce personnel, » en réponse à la grâce du Père, qui se vit en filiation divine, comme action de grâce, louange et glorification du Père, tout en étant vécue sur terre comme immolation, expiation, sacrifice d’amour.
Ces réalités divines, il faut les vivre avec ce ,,zèle » qui est, comme dit Marie de la Trinité, plus un épanchement qu’un effort, une flamme qui se projette comme don filial, coeur de tout sacerdoce personnel.
Ce que Marie de la Trinité a vu en des moments himineux d’inspiration divine, furent des visions fragmentaires qui s’unifient, se simplifient en une adhésion de plus en plus contemplative, pendant près de quarante ans, laissant à Dieu le Père de déterminer quand et comment cette doctrine que, Vatican ïï pour sa part a reprise, pourra être pleinement énoncée et vécue en Eglise.
Notes
1. Deux livres nous donnent des extraits des Carnets de Soeur Marie de la Trinité. Celui édité par le Père A. Motte O.P. et Soeur Chr. Sanson O.P. : Filiation et sacerdoce des chrétiens. Lethillieux, Paris, 1986, 201 p., et celui de Hans Urs von Balthasar : Tm Schoss des Vaters. Johannes-Verlag, Einsiedeln – Trier, 1988, 157 p. On y trouve la traduction des textes réunis dans le volume édité à Paris, en 1986 ; d’autres textes, non encore publiés, sont traduits ici en allemand, p. 105 – 156.
2. Sœur Marie de la Trinité a écrit une première relation de cette grâce initiale pour le Père M.-D. Chauvin O.P. On l’a retrouvée bien plus tard. Une deuxième fut rédigée en 1940 pour le Père Antonin Motte, O.P., Provincial de France ; elle est éditée dans le livre filiation et Sacerdoce des fidèles« , pp 47 – 55. Cette relation traduite en allemand se trouve dans le livre de H.U. von Balthasar, ,,Im Schoss des Vaters », pp. 24 – 31. Le texte est ici complété par un ajout de S. Marie de la Trinité, qui date de 1942. Voir p. 31.