2018 – Ma découverte de Marie de la Trinité, Catherine Charvet

A la suite de l’Assemblée Générale de l’Association Amitiés Sœur Marie de la Trinité le jeudi 31 mai 2018, Catherine CHARVET à donné une conférence sur le thème « Ma découverte de Marie de la Trinité » :

Marie de la Trinité, histoire d’une rencontre

Je suis très honorée d’être parmi vous Frère Éric m’ayant, avec une confiance dont je suis touchée, demandé de vous relater ma découverte de Marie de la Trinité.
Ce fut une découverte en deux temps : le premier, raté par l’incompréhension de cette femme trop vite qualifiée d’illuminée et le second, fécond car inauguré par la découverte de la paternité de Dieu dans les écrits de Marie de la Trinité.

L’histoire :

Premier temps sans suite il y a une vingtaine d’années avec le livre de Christiane Sanson que m’a offert une amie. Cette amie danoise et protestante finissait comme moi sa licence de théologie de Paris et elle suivait un séminaire sur l’œuvre d’Urs Von Balthazar ; elle avait été choquée par la conférencière qui soutenait que ce théologien aurait été mieux avisé et compréhensible s’il n’avait suivi les élucubrations de Adrienne Von Speirs. Par contre coup mon amie s’est intéressée aux mystiques et avait découvert ce livre sur Marie de la Trinité. Elle me l’offre, je le lis et le mets aussitôt de côté, déçue et fâchée de découvrir une femme détruite par un milieu social rétrograde et une direction spirituelle irrespectueuse, intrusive : jugement trivial et hâtif dont il me reste, toutefois, l’idée que si Marie de la Trinité n’avait pas souffert d’un comportement clérical aussi immature et sclérosé elle n’aurait peut-être pas ressenti avec autant d’acuité la nouveauté du sacerdoce des fidèles qui lui fut révélé.

Et puis, il y a un peu plus de deux ans, après un nouveau déménagement et rangeant ma bibliothèque, je retombe sur ce livre. Je le relis et entame l’œuvre avec un petit livre d’Arfuyen sur les paroles reçues, interpellée par ce témoignage de la prévenance de Dieu à l’égard de Marie de la Trinité, véritable conversation où se dit une intimité si profonde, si lumineuse. Je ne suis pas familière des écrits mystiques que je n’ai pas ou si peu lus, et d’emblée je suis subjuguée par ce témoignage en acte, vécu de la paternité de Dieu. Par exemple :

Comme j’étais lasse de regarder, lasse d’écrire, le Père me dit pendant l’oraison, à l’église :

« Laisse-toi instruire par Moi
autant qu’il Me plaît de le faire
et consens à tout recevoir,
et à tout écrire, pour ma Gloire.

« Ne tarde jamais de noter dès que tu le peux »

J’avais aussi inauguré mes lectures par celle de son agenda, années 27 à 30, petit opuscule spirituel, qui fut l’occasion d’une première approche de son écriture. Puis direction la Procure où j’achète le troisième tome des carnets, le seul disponible à l’époque. Mais grâce au ciel je rencontre, par le biais de la visite d’un frère dominicain à Saint-Merry où j’assure régulièrement un accueil, Christiane Schmidt qui me convainc sans peine de commencer par le premier tome et invite à participer aux séances d’études sur les Carnets ainsi qu’aux séances consacrées à l’analyse de Marie de la Trinité par Lacan.

Maintenant la question : Revenant sur ce processus singulier de découverte de Mairie de la Trinité qui m’a quand même coûté 10 ans de retard je m’interroge sur ce raté et me demande pourquoi.

J’ai finalement pris pied dans son œuvre par l’intérêt et l’étonnement de lire les paroles que Dieu lui adresse et qui parsèment son œuvre dans les Carnets. Pourquoi cette sollicitude de Dieu si manifeste dans un corpus qui tient de l’exposé théologique ? Dieu Père soutient cette femme dans la réalisation de sa mission. C’est donc qu’elle a besoin d’être soutenue, ce qui démontre incidemment que c’est vraiment la même femme névrosée, « la terroriste terrorisée » de Lacan, qui a écrit les Carnets. D’où la question : comment Marie de la Trinité se rejoint-elle, franchit-elle le cap entre cette blessure vivante, poignante qu’elle est dans la vie et la figure prophétique comblée de grâces dans l’annonce du sacerdoce ?

Marie de la Trinité, c’est une vie et une œuvre. On ne peut faire l’impasse de sa vie ne serait-ce que pour contextualiser son œuvre prophétique. Mais cette vie est aussi un écueil :
elle le fut au départ comme je viens de vous le raconter
elle le fut aussi quand je m’attachais à la suivre et à la comprendre car il est difficile de garder une neutralité bienveillante et objective devant les excès de la personnalité, les excès des évènements, (lobotomie, mise à l’écart de la Congrégation) les excès des expressions de douleur de cette femme, dominicaine et mystique.

Marie de la Trinité, sa vie :

De cette vie, je retiens les marges que Marie de la Trinité elle-même avait définies dans sa correspondance avec son directeur spirituel :

Le commencement, qui est entrée dans la vie active d’une jeune femme gratifiée du charisme d’oraison et d’une grande sensibilité mais pétrie de contradictions et d’une conscience scrupuleuse paralysante :
« Une seule fois, auparavant, dans ma vie …je fus, me semble-t-il, clairement éclairée sur ceci : que Dieu me choisissait pour faire son œuvre dans cette Congrégation et que beaucoup de choses – des principales – se feraient par moi.
Ce fut une vue claire et certaine.
Aussitôt, j’écrivis au père Périer, à Lyon, le suppliant de me permettre de partir, sans lui parler de la chose. Il me dit de rester. En confession, j’en parlai, pour dire à quel point je pouvais avoir des pensées d’orgueil… » lettre du 26 janvier 41

et la fin, lorsqu’ elle rejoint et vit sa vocation initiale de prière : « Je remercie Dieu du silence et de la vie solitaire que j’ai ici, la souhaitant encore plus solitaire et plus silencieuse – parce que c’est pour prier Dieu et ne vivre que de Lui et pour Lui que je suis entrée dans la vie « religieuse ».

J’ajoute à ce rappel, pour la compréhension de son parcours, la grâce qui la marqua à vie reçue à l’âge de 7 ans et qu’elle évoque dans une séance de travail (23 octobre 52) avec Lacan : expérience ineffable, pure et comblante, une volupté, une possibilité enfin pour moi d’aimer librement et une certitude : le sentiment d’être aimée moi-même.
« ― J’ai peur que j’aie toujours inconsciemment cherché cette volupté que j’ai vécue et qui m’a comblée – elle a mis aussi une gravité dans ma vie.
J’ai très tôt, trop tôt, été finalisée par l’amour de Dieu et par la finalité de cet amour.« Trop tôt en référence unique à Dieu, trop tôt entièrement, exclusivement »liée à Dieu par l’exercice de la piété« trop tôt comblée, une »adhérence« complète, entière alors qu’elle n’est pas humainement achevée (j’emploie à dessein des termes bérulliens dont elle découvrira les écrits au noviciat) »affection d’enfant, amour purement sensible » – une expression de monsieur Olier, opposant cette affection d’enfant pour Dieu à la perfection de l’amour capable de conduire à la pratique des vertus chrétiennes, au désir d’obéir et à suivre l’exemple de Christ (cité dans Jean-Jacques Olier, La sainteté chrétienne, Foi Vivante, Cerf 1992) –

Que dire de plus de cette vie ? il s’agit de bruit et de fureur et non d’un long fleuve tranquille. Une vie à contre-emploi, à contre temps, un tissu de contradictions avec deux fils de trame, celui de l’oraison et celui de l’obéissance ; obéissance qui ne fait guère le partage entre ce qui devrait relever de l’observance de règles – écrites en grande partie par elle-même puisqu’elle fut principalement active dans la réaction des constitutions de la congrégation – un comble – et ce qui est fidélité à l’écoute et parole de Dieu, et une obéissance qui n’est dépassée, sublimée que dans l’oraison – Lacan décèlera avec beaucoup de pertinence la problématique désastreuse de l’obéissance dans l’établissement de la névrose de Marie de la Trinité – Je vous lis cet extrait de correspondance avec le père Motte en date du 7 décembre 44 dans lequel Marie de la Trinité rappelle la révélation à l’âge de 15 ans de sa voie d’obéissance :
« Je vous l’ai dit, à quinze ans une grâce m’a fait connaître que ma voie pour aller à Dieu serait une voie d’obéissance, l’obéissance de la vie spirituelle, de la conduite de mon âme, bien plus que de celle de ma vie. Depuis, cette obéissance a été toujours ma sécurité et mon plus grand tourment moral. »

Avec l’épreuve de Job sa vie perd une orientation, celle de la verticalité où se jouait de façon sensible, sa rencontre avec Dieu, verticalité qui fait le lien entre sa détresse, son néant (Bérulle) et la sainteté de Dieu. Reste la dimension horizontale, à hauteur d’homme, qui verra croître l’étendue de ses déplacements, de ses connaissances, de ses apprentissages et dans laquelle il se dit et s’écrit alors une détresse proprement humaine, un questionnement de la féminité, préparant cette catharsis, ou plutôt cet enfantement de soi que constitue l’épisode de Bonneval.

Malgré tout cela Marie de la Trinité a réalisé deux œuvres, non pour elle mais pour nous : le développement des DMC, fruit d’un cheminement temporel et spatial continu, à horizon humain, et l’écriture des carnets, à la verticale, dans la nécessité épuisante et reconduite à chaque révélation, de parcourir toute la hauteur de la distance entre Dieu et son néant.

Et le risque que j’ai couru à m’intéresser à cette vie tourmentée c’est celui de me laisser captiver par cette personnalité remarquable, remarquablement intelligente, et intrigante, présente et active dans cette effervescence d’après-guerre – qui vit apparaître d’autres curiosités, d’autres disciplines, d’autres spiritualités – et qui sut s’introduire dans ces nouveaux domaines auprès des spécialistes aujourd’hui reconnus comme des maitres de leur discipline. Ce risque j’ai pu en prendre conscience et le surmonter en participant au travail collectif sur Marie de la Trinité en maladie. Cherchant à circonscrire l’œuvre j’ai donc rappelé cette vie qui fut pour moi occasion de rejet puis objet de fascination. Reste la question de l’auteur et des interactions entre la femme et l’écrivaine : qui est l’auteur des carnets ? Non pas que je doute de son identité mais de sa pertinence.

Je précise ma question : il ne s’agit pas de chercher dans ce corpus les traces de détérioration psychique et intellectuelle, témoignant de l’égarement du jugement, je ne suis pas psychiatre. Il s’agit seulement de noter les signes d’une interaction entre les évènements de cette vie douloureuse et la transcription des révélations, entre la femme pathétique et l’auteur des Carnets. En définitive je m’interroge sur l’authenticité de son œuvre. J’ai donc lu ses Carnets en ayant le souci de déceler si, les écrivant, Marie de la Trinité avait à la fois conscience de ses faiblesses et de son état et aussi de la nature de sa mission et de son témoignage et me suis donc attachée aux témoignages de son regard critique sur son travail d’écriture.

Marie de la Trinité, son œuvre, les carnets :

Ces 5 tomes relatent deux évènements :

Une grâce initiale, celle de 29, courte, unique, ramassée, condensée au cours de laquelle Marie de la Trinité expérimente la paternité de Dieu, séquence unique où tout se dit, se donne et se reçoit, s’éprouve et se comprend dans l’instant, dans la fulgurance.

Le deuxième évènement, la grâce sacerdotale des 14 et 15 juin 41, se dit dans la durée de sa préparation, de ses prémisses et le déroulement continue de sa survenue. De 1940 à 1944/45 Marie de la Trinité remplit ses carnets du récit de cette grâce qui ne cesse de se renouveler pour révéler progressivement toute la richesse du sacerdoce et de la filiation ; visions et expériences qui engendrent un travail sans fin d’assimilation, contrairement à la première grâce dont elle note les 6 mois nécessaires pour qu’elle se l’approprie.

Et l’attention, l’effort de Marie de la Trinité ne faiblit pas, ou si peu et elle a l’honnêteté de le l’écrire, pendant ces quatre ans d’intimité avec Dieu pour écouter et transcrire. Pendant 4 ans seulement, contiguïté entre la vie et l’œuvre, coïncidence mais non convergence et cet écart fut à l’origine de son effondrement

Revenant sur mes a priori je suis aujourd’hui convaincue que la relation de ces deux évènements, l’un circonscrit l’autre étendu sur trois ans, constitue une œuvre singulière car œuvre d’une femme
préparée par Dieu pour cette mission,
œuvrant dans le secret
faisant preuve de prudence, de circonspection dans l’examen de ses interventions et l’analyse de ses écrits.

Premier point : Dieu prépare Marie de la Trinité : ouverture de son intelligence

Ces écrits sont l’œuvre d’une intelligence toute neuve, quasiment octroyée à Marie de la Trinité par Dieu et pour cette œuvre en particulier : ce que Marie de la Trinité note à plusieurs reprises dans ses carnets : son intelligence fut éveillée en 29 et autour d’elle ceux qui la connaissaient s’en firent d’ailleurs la remarque. On peut dire que Marie de la Trinité est entrée vierge de toute influence sinon celles de l’éducation d’une jeune fille de bonne famille formatée pour une vie sociale et mondaine et charitable. Jusqu’en 29 ce fut une vie spirituelle et sacramentelle d’autant plus intense que c’est la sensibilité qui l’emporte chez elle, une sensibilité que Dieu se chargera d’apurer : « Comme je gémissais d’avoir la sensibilité aussi desséchée que si elle n’existait pas, — je demandai au Seigneur comment avait pu disparaître une sensibilité qu’Il m’avait donnée si vive, parce que j’étais peinée qu’Il soit privé de ses hommages — alors, Il me dit :
« Je te la rendrai quand elle sera purifiée,
comme Je te donne toutes choses
à mesure qu’elles sont purifiées ;
car ces choses sont bonnes et Me plaisent »..(T.3.1269/758)

Deuxième point : Marie de la Trinité est l’auteur de ces carnets qui s’élaborent dans le secret : secret de l’écriture, secret de la diffusion. Les seules personnes informées de son travail sont les autorités qui peuvent le légitimer et assurer son auteur qu’elle n’est ni le jouet de son imagination ni source de propos condamnables par l’église. Famille et communauté religieuse sont maintenues à l’écart de ce secret. En contrepartie de ce secret on note l’absence d’interférence extérieure sauf pour quelques modifications d’expression souhaitées par le père Motte et indiquées telles que par Marie de la Trinité.

Le troisième point est la présence régulière dans le corps du texte de digressions, courtes mais régulièrement énoncées. Marie de la Trinité y décortique son intervention personnelle dans l’écoute et la mise par écrit des lumières dont elle bénéficie. Ces digressions manifestent un véritable esprit critique, un « raffinement d’analyse » (expression de Motte dans lettre du 25 sept. 43 annotée par Motte le 21 octobre) que les incertitudes et scrupules d’une conscience exigeante maintiennent en éveil sur les incidences personnelles qui pourraient entraver sa réception et sa compréhension et transcription des grâces :
Quant au développement de ce qui est reçu de façon initiale, je ne puis dire en quoi j’y suis mêlée — je sais seulement que je ne cherche rien de moi-même… Il en est de même des citations d’Écriture. Je crois que ma seule initiative est celle de la rédaction (T.3.1208/719).
Marie de la Trinité reviendra à plusieurs reprises sur cette écriture singulière, comme sous la dictée de Dieu, dans un effort permanent de mémoire, sans travail d’ajustement, de construction, d’explication ou de commentaire ; Marie de la Trinité tient la plume, se mettant dans un état non de transe mais de vide des facultés pour être uniquement dans cet effort de réceptivité, de mémorisation et transcription. Et la transcription se fait à mesure que lui vient en mémoire ce qu’elle a entendu : c’est la mémoire fécondée par les lumières, paroles, expériences, qui a enfanté cette œuvre. Sa mission d’écriture va demander à Marie de la Trinité un effort toujours plus grand de détachement de soi, d’effort, pour arriver à cet état de passivité sans contrainte, de pur réceptacle des grâces :
Et il me semble que le Père a sur moi cette exigence de m’alléger moi-même de toute satisfaction (même permise et louable) intellectuelle. C’est surtout dans l’intelligence qu’Il veut ce dépouillement, cette nudité, cette pauvreté, autant que je peux en juger !
(T. 4. 2070/1223)
. « Préfère-Moi à tout,
et préfère mon œuvre à toute autre »…– l’œuvre que le Père me donne à faire. :
(T.3. 1269/758)

Ce dessaisissement de soi et notamment cette ascèse de l’intelligence est à l’opposé du comportement de Marie de la Trinité névrosée. Les thérapeutes rencontrés, reconnaissent son esprit délié si actif dans l’affrontement et la manipulation qui caractérisent son comportement avec eux. Névrosée et obsessionnelle elle fait un effort colossal pour tout peser par elle-même, tout intégrer, tout s’approprier par la pensée. Cette femme qui se renonce dans son œuvre se manifeste au contraire incapable d’entendre, d’écouter une parole autre que la sienne. C’est
Lacan qui précise cette attitude symptomatique :

« Vous ne pouvez encore comprendre que ce que vous pensez vous-même. C’est pourquoi il est inutile que je m’explique : ça n’entre pas. »

Il est sans doute complètement indifférent de connaitre les aléas de l’histoire de Marie de la Trinité et les particularités de son écriture pour s’informer sur l’objet de ses carnets, le sacerdoce. Mais, de l’autre, il est difficile d’apprécier l’originalité de son œuvre sans s’arrêter à toutes les annotations sur le travail même de réception et d’écriture, expressions proprement personnelles et nombreuses qui témoignent de la singularité de l’auteur, Marie de la Trinité.

J’achève le relevé de ces traces d’appropriation par cette personnalité si controversée, si fragile par ailleurs, en notant les caractéristiques suivantes : Marie de la Trinité revient à plusieurs reprises sur les grâces initiales, approfondissant sa compréhension de leur déroulement et de leur portée et elle soumet au père Motte ses écrits pour se garantir de toute déviance dogmatique, de tout écart ecclésial.

Les nombreux retours sur les grâces
.
Marie de la Trinité reviendra à différentes reprises sur les grâces, notamment le 22 mars et le 6 mai 44, analysant les différences dans le déroulement, leur objet et leur finalité et ce retour sur l’expérience lui permet de distinguer le contenu et en parallèle les exigences personnelles qu’une telle révélation implique, c’est à dire l’attitude de totale passivité exigée comme condition d’emprise (non d’intelligibilité) et de disponibilité à cette révélation des dons de sacerdoce et de filiation :

« En 29, révélation (connaissance et expérimentation) de la relation de créature à Dieu et de Dieu à la créature – part le mystère de l’incarnation rédemptrice – versus 41 non plus relation mais regard de Dieu sur Dieu par l’intégration dans le sacerdoce du Christ Ce ne fut pas alors comme en 1929 une connaissance de relation de ma nature à la déité et au Père, et de la déité et du Père à moi, avec les mystères d’Incarnation-Rédemption. Ce fut un regard de Déité sur la Déité pour elle-même, et du Père en lui-même et des Processions dans leur propre mystère : ce qui est beaucoup plus élevé et ineffable que la première grâce de 1929 ».

Ses carnets comme sa correspondance comportent plusieurs passages évoquant sa prudence ecclésiale et son recours au père Motte pour la garantir de toute intrusion personnelle imaginaire. Le père Motte et Mère Saint-Jean sont les garants de l’authenticité de son œuvre et elle les évoque dans les carnets sans les désigner par leurs noms mais par leurs fonction et état d’autorité. Dans la lettre du 17 novembre 42 au Père Motte elle lui écrit : « J’ai un grand désir de vous soumettre tout ce qui me concerne, afin que vous le portiez avec moi, non comme un fardeau, mais pour me guider. J’ai très peur de dérailler, de m’égarer … que ces lumières viennent d’ailleurs, je ne peux pas ne pas les percevoir … : j’ai peur d’introduire des déformations, bien que je me tienne constamment en garde, et que j’observe toujours si ce qui j’écris est conforme à ce que je sais de l’enseignement de l’Église ».

Ce souci constant de prudence l’entraine à prendre de la hauteur et l’incite à exposer sa compréhension du rapport entre dépôt de foi et révélation continue de la parole de Dieu ; et je cite à ce sujet un extrait de la lettre toujours adressée au Père Motte du 6 novembre 44 :
« Je vous ai déjà dit que quelles que soient les lumières reçues à l’oraison mon premier soin est de les confronter avec l’enseignement traditionnel de l’Église… ou bien elles entrent complètement dans cet enseignement – ou bien elles s’y enracinent mais le débordent sur un point – et s’étendent au-delà : soit qu’elles le prolongent, soit qu’elles le présentent sous un nouvel aspect ; dans ce cas, la réalité est bien la même, mais elle est atteinte sous une autre face.
…Aussi, je me garde de rien penser, de rien ajouter, de rien chercher : je regarde et j’attends. S’il y a un point obscur, je préfère le laisser dans l’ombre que de tirer de mon ignorance la moindre réponse…. Dans le dépôt de la Révélation il y a tout l’essentiel de la vérité – mais cette vérité révélée elle-même s’étend beaucoup plus loin que ce qu’en dit l’enseignement de l’Église. Et c’est impossible autrement, car la vérité est infinie et cet enseignement limité ».

Enfin pour terminer ce travail de repérage des interventions personnelles de Marie de la Trinité dans l’écriture des carnets je rappelle la relecture qu’elle fit des carnets dans les années 70, la crise étant passée, dépassée. Entre temps elle aura plusieurs fois évoqué la possibilité d’entamer un travail de construction de cette œuvre dans un but de communication mais elle y renoncera, se consacrant seulement à une relecture de ses manuscrits pour les dactylographier. Et il est intéressant de noter que parallèlement à ce travail de dactylographie elle participe à nouveau à la réécriture des constitutions de sa congrégation, prenant la aussi du recul notamment sur la question de l’obéissance : elle était si consciente des dommages immenses d’un détournement de la vertu d’obéissance, qu’elle œuvra pour l’insertion dans les nouvelles constitutions d’un article sur l’obéissance que le Père Motte estima être un antidote très utile à l’infantilisme d’une conception maladroite de l’obéissance : « C’est en réponse à l’appel du Seigneur mais volontairement que nous sommes entrées dans l’état religieux. Chacune de nous doit dès lors se considérer comme la première responsable, avec la grâce de Dieu, de sa fidélité aux engagements de son baptême et de sa profession ». (Cf. le livre de Christiane Sanson p.166)

En conclusion

Je vous ai dit mon erreur impardonnable de jugement lors de mon premier contact avec Marie de la Trinité, premier contact raté de m’être arrêtée sur les déficiences personnelles de Marie de la Trinité, les déficiences de son environnement familiale spirituel, religieux, C’était mésestimer la complexité profonde de toute personnalité humaine, l’intime richesse de toute personne d’une part et méconnaitre la toute puissance et bienveillance de Dieu dans ses desseins.

Ce travail fait pour m’enquérir de la contribution personnelle de Marie de la Trinité dans la réception des grâces et l’élaboration de leur traduction écrite fut le contrecoup de ce fiasco, de cet échec. Et je découvre une femme extrêmement lucide sur elle-même et sur son œuvre, lucide sur les grâces que Dieu lui accorde et sur sa mission de les transmettre. Je ne crois pas avoir employé jusqu’ici le mot de lucidité : Pour moi c’est une réalité évidente, une caractéristique personnelle de Marie de la Trinité.

Voilà le récit de ma rencontre et des questions qui résultèrent de cette rencontre en deux temps. Mais l’essentiel restait à venir, la découverte du sacerdoce personnel, réel, des baptisés.

Pour terminer je ne résiste pas au plaisir de vous citer une dernière fois Marie de la Trinité :
« Pourquoi ne parle-t-on jamais aux fidèles de leur grandeur divine ? Pourquoi n’entend-on jamais parler de Dieu dans les sermons. Pourquoi ne parle-t-on jamais du mérite qui s’obtient directement entre l’âme et son Dieu, alors qu’on revient indéfiniment sur les sacrements ? Pourquoi parle-t-on si peu, jamais, de la sagesse surnaturelle, de la sainteté divine vers lesquels tous les enfants de Dieu doivent s’acheminer ? Pratiquement, il y a sur terre, dans l’Église, deux classes dont on ne parle que par leur opposition : la classe cléricale et la masse confuse des fidèles-pécheurs. On dirait que la religion consiste en ce qu’il y ait d’une part le clergé, brillant de la gloire de Dieu, et d’autre part les fidèles plongés dans l’ombre du mal. La mentalité est clérico-centrique et c’est logique : le prêtre, c’est le Christ et le Christ c’est Dieu… »(lettre du 14 décembre 50 au père Motte).