Lettres de Urs von Balthasar

Ce dossier contient 14 lettres ou cartes de Urs von Balthasar à sœur Christiane Sanson écrites en 1987 et 1988 lors de la rédaction de son livre « Im Schoss des Vaters » (Dans le sein du Père) – transposition allemande d’écrits de Marie de la Trinité.
Les lettres de sœur Christiane Sanson ne sont pas jointes à ce dossier.

28.2.1987 – Basel, den Arnold Böcklinstrasse 42
Ma sœur, enfin, je viens vous remercier du livre de Marie de la Trinité. Les thèmes traités sont du plus haut intérêt, le style est dense, il faut mettre du temps. L’écho ne sera peut-être pas énorme, mais cela est plutôt un argument pour le livre. Il faudra que les théologiens et les spirituels s’y mettent, car la moisson est extrêmement riche, aussi pour les sermons et pour la méditation des simples chrétiens. Merci donc de tout cœur pour ce trésor. En notre Seigneur Hans Balthasar – Merci pour les photos !

19.9.1987 – Basel…
Ma révérende sœur, merci de votre longue lettre si précise et éclairante. Voici ma situation.
1. Je suis très sérieusement intéressé à Marie de la Trinité et sa mission théologique.
Mais, 2. je ne puis m’y mettre qu’après avoir terminé un travail long et difficile : un choix de texte d’Adrienne von Speyr qui m’occupera certainement tout l’hiver.
3. Les textes remis par le P. Beyer (surtout les paroles intérieures) ne se prêtent guère à la traduction, il me faudrait un bon choix de textes cohérents inédits, car une présentation de l’ensemble de sa pensée présuppose – je crois – un tel choix représentatif des textes “centraux”. Entreprendre à mon âge (82 passées) la lecture intégrale : vous comprenez que j’hésite… D’autre part on pourrait tenter les deux choses à la fois : Présenter des textes représentatifs et les commenter (d’une façon peut-être un peu plus concise que dans le livre imprimé).
Évidemment, si un théologien plus jeune et apte se présente, je renonce avec joie. Mais la mission est trop importante pour rester cachée. En union en Notre Seigneur. Hans Balthasar
Les textes sur le sacerdoce que vous avez joints à votre lettre sont très intéressants.

11.10.1987 – Basel…
Ma sœur, excusez le retard de cette réponse. Je suis débordé et comme je vous le disais, je ne puis me mettre au travail pour Marie de la Trinité
Que l’an prochain. Rien ne presse donc concernant les textes que vous voulez bien m’envoyer. Ceux que j’ai reçus sont très beaux, je vous en remercie vivement. Ce sont vraiment ces textes trinitaires qui m’intéresseront le plus même s’ils sont, comme vous dites, longs et laborieux. Ceux qui traitent du sacerdoce sont, je pense, suffisamment présentés dans le livre paru. Le traité sur les sacrements serait également utile.
Je ne sais si un voyage à Bâle pourrait être utile. Il faudrait plutôt, si je trouve un logement, que je vienne à Paris pour me rendre compte de l’étendue et du contenu des manuscrits.
Je ne sais combien je peux vous demander (de copier et de me faire voir) sans trop vous importuner. J’ai un ami prêtre à Saint Maur qui pourrait peut-être m’accueillir pour quelques jours. Mais je suis reconnaissant pour tout ce que vous pouvez me procurer en copies.
Merci pour tout. Soyez patiente avec ma vieillesse. J’essaierai de faire tout ce que je peux. In Domino. Hans Balthasar

12.10.1987 – Basel…
Ma sœur, nos lettres se sont croisées. Je voudrais que vous ne vous sentiez pas bousculée par moi – rien ne presse, faites ce qui vous semble utile, à votre aise. Ces pages 290 à 301 me seront les bien venues lorsque vous trouverez le temps, de même celles sur les sacrements et ce qui vous semble valable sur la Trinité.
Vous vouliez joindre à votre lettre “deux feuilles importantes”, mais je ne les ai pas reçues, seulement le double de votre première lettre. Merci de toute votre aide. Je commence à traduire certains textes imprimés. In Domino. Hans Balthasar.

15.10.1987 – Basel…
Ma sœur, votre immense paquet a été une grande et belle surprise. Merci pour tout cela. Je vais m’y mettre dès que je pourrai, je pense pouvoir transcrire ou faire photocopier les textes qui me semblent les plus aptes à être traduits (et commentés). Après cela, je vous renverrai le tout – Si Dieu me prête vie.
Je tiendrai compte de toutes vos remarques. Je vous prie seulement de patienter. En janvier, j’espère pouvoir m’y mettre.
Veuillez croire, ma Sœur, à ma profonde reconnaissance en Notre Seigneur. Hans Balthasar.

23.10.1987 – Basel…
Ma sœur, revenant du Tessin où j’ai passé trois jours avec le livre de MT et commencé à la traduire, je trouve votre nouvelle grande lettre et les photocopies précieuses.
Mais encore une fois, ne rien hâter, car je dois d’abord finir le choix de textes d’Adrienne, et ne pourrai vraiment me mettre au travail que l’an prochain.
De plus, ayant commencé quelques traductions ces jours (je ferai tout moi-même), j’ai fait l’expérience de l’extrême difficulté à transcrire ces textes d’une densité technique en un allemand lisible. J’espère tout de même y parvenir quand je m’y mettrai pour de bon.
Il y a certaines difficultés à essayer de me loger rue des Tanneries. Mon ami Le Guillou est loin, le Père Congar, toujours aimable, n’est pas bien dans ma ligne, je l’ai senti plusieurs fois. Mais lui aussi est loin. Les “jeunes” professeurs de la Catho me sont plutôt hostiles (ceci entre nous) – Si vraiment je peux passer un temps à Paris (ce qui n’est pas sûr), je trouverai une solution – pour travailler le jour à l’archive. Merci pour l’adresse du Père Duval.
Les “deux feuilles importantes” n’étaient vraiment pas dans la lettre.
Mais ne vous inquiétez pas. Je suis pour un temps submergé dans les textes déjà publiés. Dès que je pourrai, je me mettrai à étudier votre grand dossier.
Merci pour toute votre aide. Je compte sur celle de nos deux grandes mystiques – et un peu sur la vôtre. Hans Balthasar.

10.12.1987 – Basel…
Ma sœur, excusez d’abord mon silence après votre dernière lettre. J’étais surchargé de travaux urgents et je n’en suis hélas pas encore plus loin. Merci de votre dernière lettre et de tous les soins qu’elle m’offre pour un éventuel passage à Paris.
Le livre que je devrais avoir terminé traînera encore plusieurs mois – avant, je ne peux rien promettre. Il me semble plus réaliste de remettre tout pour après votre opération (je l’ai subie, elle n’est pas grave et vous donnera un grand soulagement, affaire de dix jours). Un séjour à Paris ne serait (semble-t-il) utile que si je pouvais le prolonger ; comme éditeur et comme directeur d’un institut séculier cela semble impossible. Je travaillerai donc sur les textes que vous avez eu la bonté de m’envoyer et que vous me promettez encore. J’aurai probablement le loisir de m’y mettre sérieusement pendant l’été prochain – à la montagne. J’attends donc avec grand intérêt les textes promis, avec lesquels j’aurai probablement l’essentiel pour pouvoir donner une vue d’ensemble suffisante. Le travail vraiment critique et définitif : il n’y a que vous qui puissiez nous le donner.
Je vous remercie de toute votre aide et vous souhaite la grâce de Noël, la promesse de toutes les suivantes. In Domino. Hans Balthasar.

23.12.1987 (lettre avec dessin imprimé, voir page suivante)
Ma chère sœur, quel magnifique cadeau de Noël ai-je reçu de vous ! Un grand merci pour ces merveilles et pour votre longue lettre qui explique tout avec le plus grand soin.
Je ne voudrais pas que vous ayez à faire le voyage à Bâle. Il y a un colloque sur Paul VI à Paris, auquel je suis invité. Il a lieu le 27 janvier. Si vous êtes disposée à me recevoir, je pourrais venir vous voir le 28 matin –pour ensuite reprendre le train pour Bâle) Ayez la bonté de me faire savoir rapidement, si cela vous convient. Je n’aurai pas encore avancé beaucoup dans la traduction mais tous vos avis me seront extrêmement précieux. Respectueusement vôtre en N.S. Hans Balthasar

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7.1.1988 – Basel…
Ma sœur, excusez le retard de cette réponse à votre longue lettre avec l’esquisse des lieux. J’ai enfin la confirmation que j’ai une chambre à l’hôtel. Non, je ne parle pas, et il me semble bien inutile de se déplacer pour entendre une dizaine de personnes parler sur les chefs-d’œuvre honteux d’art moderne que le Pape a réunis.
Si cela vous arrage, je passerai donc chez vous jeudi le 28 dans la matinée (9h-10h), mon avion (payé) repart à 1h. (Charles de Gaulle).
J’ai eu le temps de composer la traduction allemande de manière schématique : la première partie (doctrine) répondant en gros au livre imprimé ; la deuxième (expérience) à vos extraits des feuilles que vous m’avez envoyées, d’une richesse extraordinaire. Vous comprenez bien que j’ai du choisir, mais il me semble que l’essentiel se détache. J’ai préféré remettre “expériences” qui évidemment contient les présupposés après la “théorie”.
Si tout est clair, inutile de confirmer. Donc à bientôt avec mes meilleurs vœux. Hans Balthasar.

3.2.1988 – Basel…
Ma sœur, merci de votre accueil à Paris et de tous les documents précieux que vous m’avez envoyés depuis, merci pour les photos oubliées.
Pour les droits à acquérir, ne vous tracassez pas. J’en parlerai au Père Chantraine qui trouvera un moyen de me déléguer les droits de traduction. Sinon, il faudra faire un contrat en forme avec Lethielleux (toujours pour la première partie), ce qui n’est pas terrible. Bien sûr que je me réjouis toujours s’il y a un moyen d’alléger les frais, surtout parce que Marie de la Trinité est encore complètement inconnue en Allemagne.
Soyez certaine que je serai discret quant à tous les papiers prêtés. Dès que le texte allemand sera imprimé je vous renverrai tout.
Pour les détails biographiques, je dois me limiter à l’essentiel, je ne cite pas de noms (sauf, éventuellement Gabriel Marcel bien connu chez nous)
Ne m’envoyez plus de documents ce que j’ai suffit amplement. Je ne peux seulement renvoyer aux archives des PP. Dominicains – personne n’ira les consulter.
Merci de tout, en union de prières. Hans Balthasar.

14.2.1988 – Basel…
Ma sœur, excusez le retard de cette lettre, elle voulait attendre la réponse du P ? Chantraine. Celui-ci serait près à passer un contrat avec vous pour acquérir, au cas de votre mort, tous les droits de publication des œuvres manuscrites. C’est un homme jeune qui s’intéresse à cette publication (entière ou en partie), également un homme sûr qui est connu du P. Beyer et estimé par le Pape. Voyez si cela ne pourrait être la solution la plus facile.
Il n’y aura probablement pas de problème pour les droits de traduction des textes parus, Chantraine me dit qu’il pourra arranger ça avec Zech (qui désire garder le Sycomore).
Je garde donc les manuscrits, comme vous le désirez. Je veux bien parler au P. Beyer sur la publication (le choix que j’ai fait), mais je ne voudrais plus y changer grand-chose, il me paraît donner vraiment une image objective de Marie de la Trinité (Pourquoi téléphoner ?) Mon livre ne le gênera aucunement d’écrire – s’il veut ou s’il peut – son étude sur MT.
Merci pour le texte sur la Vierge. Je pense qu’il me suffit et que je n’ai plus besoin de rien… En effet, je peux laisser tomber le nom de Gabriel Marcel.
Je suis heureux de l’Association qui va se créer, pour le moment je crois pouvoir arriver à un contrat avec l’aide du P. Chantraine. Sinon je vous le dirai.
En mars, je serai absent pour une série de retraites. En union dans le Seigneur et merci pour tout. Hans Balthasar.

21.2.1988 – Basel…
Ma sœur, merci pour votre lettre est votre assentiment de fond. Un contrat avec le P. Chantraine ne regarderait qu’une possible édition (partielle ou totale) des feuilles que vous m’avez confiées, nullement les documents dans l’archive dominicaine.
Je passe le double de votre lettre au P. Chantraine, je lui dirai de prendre contact avec vous et votre avocat pour un éventuel contrat en forme. Il est jeune, mais s’il disparaissait je pense que les droits passeraient à la communauté Saint-Jean (la mienne) pour laquelle il travaille (le Sycomore a pour but principal de distribuer nos livres. Chantraine est jésuite mais, lui et moi, nous regardons notre communauté Saint-Jean comme une prolongation de la Compagnie de Jésus, dans le monde.)
Le P.Beyer, qui écrira éventuellement sur SMT, ne sera aucunement gêné par cet éventuel contrat. Le P. Chantraine est souvent à Paris, il pourrait facilement venir vous voir.
Si quelqu’un d’autre voulait publier les textes de SMT, il devrait avoir votre permission tant que vous êtes là, ensuite celle du Sycomore, il faudrait se garder le droit de supervision de cette éventuelle publication.
A vous de décider s’il faut avertir le P. Motte de tout cela, je crois que non.
Adrienne : 12 volumes ont paru ; mais je ne suis pas fâché que sa connaissance se fasse lentement. Chantraine a une année sabbatique (Dejoud, autrefois Liège, enseigne à Toulon, provisoirement)
Ne vous faites pas de soucis pour les carnets encore à compléter et à perfectionner. Pour moi, l’ensemble a été si clair que les compléments ne peuvent rien changer d’essentiel, bien que toute addition ou correction soit désirable.
L’institut St Jean commence à avoir quelques adhérents en France, des prêtres surtout, mais je ne voudrais pas nommer leur nom. La croissance est certaine. In Domino. Hans Balthasar.

8.3.1988 – (carte postale du Grindelwald, postée à Bâle)
Ma sœur, bien sûr que vous pouvez avoir pleine confiance en le Père Ch. et lui montrer tout. Il pourra facilement prendre contact avec le P. Beyer (qu’il connaît bien) lors de son voyage à Gand, ou avant à Rome. Contester l’équilibre mental de SMT est absurde lorsqu’on a compris sa tranquille assurance et ses analyses pénétrantes – aucune trace de maladie dans les documents. Je ne suis pour rien dans la parution du livre au Sycomore. Bonne rencontre avec le P. Ch. (Je n’ai pu répondre plus tôt. J’ai trouvé votre lettre en rentrant d’Allemagne.)
In Domino. Hans Balthasar.

12.6.1988 (carte postale, évangéliaire d’Otto III : Sturm auf dem Meer.)
Ma sœur, merci pour votre bonne lettre. Hélas, les épreuves allemandes sont déjà parties. Détruisez-les, si elles vous gênent. Vous aurez bientôt le livre. (J’ai corrigé les fautes) Je suis de plus en plus persuadé de l’importance capitale du message de SMT. En N.S. H. Balthasar.

Sans date, carte imprimée, quelques lignes manuscrites, voir ci-dessous

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22.6.1988 (carte postale : l’évangéliste Jean, Kunstverlag Maria Laach ; postée à Bâle)
Ma sœur, merci de votre carte. Non, ne me renvoyez pas ces épreuves, jetez-les. Le P. Chantraine et moi (et ma secrétaire) les corrigent. Marie a beaucoup influencé ma pensée. Un vrai tournant. Uni à vous dans la prière. H. Balthasar.

28.01.1988 note manuscrite du père von Balthasar remise à Christiane Sanson en vue de son livre « Im Schoss des Vaters »
Pour le choix de textes allemand

1. Partie : le livre presque complet
(en remplaçant les commentaires)
(avec la grâce de 1929)

2. Partie : Grand choix de textes extraits
de “Paroles intérieures” p. 1-333
souvent avec les explications
en prose ou postérieures
Morceaux sur la Trinité groupés
sur justice et miséricorde en Dieu
sur le calice et son contenu
sur Marie et St Joseph
sur les sacrements

Hans Urs von Balthasar est né à Lucerne, en Suisse, le 12 août 1905. Passionné de musique, il s’oriente cependant vers des études littéraires. Son premier grand livre, « Apocalypse de l’âme allemande » (1937), donnera « une interprétation chrétienne de la poésie, la philosophie et la théologie depuis Lessing jusqu’à aujourd’hui ». En novembre 1929, il entre dans la Compagnie de Jésus. Sous l’influence du P. de Lubac, il s’oriente vers les Pères grecs sur lesquels il publiera de nombreux travaux. Il est envoyé à Munich, puis à Bâle comme aumônier des étudiants. Il y fait la connaissance de Karl Barth., alors professeur à la faculté de théologie de Bâle, mais aussi d’Adrienne von Speyr (1902-1967), avec qui il crée en 1944 la Communauté Saint-Jean. Ce sera là la grande affaire de sa vie mais aussi la raison qui l’amènera en 1950, bien malgré lui, à quitter la Compagnie. La parution de son grand œuvre, la « Trilogie », s’échelonnera sur tout le reste de sa vie, de 1961 à 1987. En 1984, Jean-Paul II remet à Balthasar le prix Paul VI pour l’ensemble de son œuvre théologique. En mai 1988, Jean-Paul II l’élève à la dignité de cardinal. Balthasar meurt un mois plus tard, le 26 juin 1988.

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