Sacerdoce et sacrifice chez Marie de la Trinité : un éclairage Thomiste
En 2004, l’Association Amitiés Marie de la Trinité a organisé un Colloque sur le Sacerdoce, en développant la place centrale donnée par Marie de la Trinité au sacerdoce des baptisés.
Plusieurs interventions de ce Colloque ont été publiées dans le n° 773 (nov. 2007) de « La vie spirituelle » (Cerf). Voici celle de Camille de Belloy o.p.
Soeur Marie de la Trinité n’est plus la parfaite inconnue qu’elle était, il y a encore dix ans. Son nom est comme entouré d’une aura diffuse ; la voilà désormais précédée d’une renommée qui, comme toute renommée, est à la fois justifiée et déformante, une renommée que nous souhaitons voir grandir et s’amplifier encore, mais qui, en même temps, nous échappe. Nous assistons alors à un phénomène étrange : les Carnets de Marie de la Trinité ne sont pas encore publiés en édition intégrale que, déjà, c’est comme si l’on savait ce que cette oeuvre a à nous dire, comme si l’on savait par avance ce que l’on y trouvera.
On s’attend à y trouver des développements qui s’efforcent de rendre compte des grâces (paroles, expériences, lumières) que Marie de la Trinité a reçues dans les années 1940 avant d’entrer dans la nuit de « l’épreuve de Job ». On sait que ces grâces concernent principalement deux grands thèmes : la filiation et le sacerdoce.
On sait qu’il s’agit pour Marie de la Trinité de deux aspects inséparables et complémentaires de notre conformation au Christ et de notre union à Dieu Trinité. Ces grâces, Marie de la Trinité les a reçues pour elle-même, bien sûr mais aussi avec la certitude intime de leur importance vitale et de leur utilité pour toute ! l’Église, tous les chrétiens. Si elle a écrit ces quelque trois mille pages de Carnets, c’est comme sous la pression d’une exigence impérieuse, divine, qui ne lui a laissé aucun repos^ qui l’a même brisée. Une telle connaissance surnaturelle du mystère de Dieu, reçue d’en haut^ accompagnée d’une exigence aussi absolue dei transcrire fidèlement ce qu’elle recevait et de le ; transmettre le plus intégralement possible, une telle connaissance et une telle exigence relèvent sans nul doute du charisme de prophétie.
L’insistance de Marie de la Trinité sur la participation des fidèles au sacerdoce du Christ est l’une des manifestations les plus claires de ce charisme prophétique. On a dit et redit qu’elle devance de vingt ans l’enseignement magistériel du IIe concile du Vatican qui a pleinement remis en valeur la doctrine du sacerdoce commun des baptisés en regard du sacerdoce ministériel des prêtres.
À l’époque où Marie de la Trinité écrit ses Carnets, cet aspect du sacerdoce n’était certes pas ignoré, puisqu’on le trouvait mentionné dans l’Écriture, mais l’accent était plutôt mis sur le sacerdoce des prêtres, sur l’idéal quasi exclusif d’une conformation personnelle du prêtre au Christ grand prêtre, selon l’idée que le prêtre doit devenir un « autre Christ », alter Christus.
Dans le secret de sa contemplation, Marie de la Trinité apprend, expérimente en elle-même, par, une grâce mystique, mais aussi prophétique, que la participation personnelle, réelle, totale, au sacerdoce du Christ est d’abord un don fait à tout chrétien baptisé, un don que tout chrétien ! baptisé est appelé à exercer et à faire fructifier en lui jusqu’à son plein épanouissement.
Voilà donc, schématiquement résumé, ce qu’un lecteur assez averti, assez bien informé, s’attend à trouver dans les Carnets. Mais s’il décide alors de se lancer pour de bon dans la lecture cursive de ces pages dactylographiées, comme j’ai seulement commencé de le faire, ou même s’il entreprend d’étudier de près l’anthologie proposée dans le recueil « Filiation et sacerdoce des chrétien », ce pauvre lecteur risque d’être surpris, déçu, si ce n’est pas choqué. Non qu’il ne trouvera rien sur le sacerdoce des baptisés, bien au contraire, mais parce que cette doctrine censément moderne s’y trouve exprimée au moyen de mots et de concepts théologiques qu’on croyait depuis longtemps révolus. Les perspectives les plus nova¬trices sont comme recouvertes sous des notions vieillies, datées, voire franchement archaïques.
Il y est, en effet, sans cesse question de « sacrifice », de « victime », d’« immolation », d’« expiation ». Ainsi, alors qu’on s’attendait à pénétrer dans une théologie d’avant-garde, anticipant et annonçant le tournant de Vatican II, on a soudain l’impression de rétrograder en plein XIXe siècle, que dis-je, en plein concile de Trente, et l’on se croirait presque revenu au temps de la Contre-Réforme ! Mon intention, pourtant, n’est pas de transcrire les expressions de Marie de la Trinité en termes plus acceptables, plus recevables pour notre temps, comme s’il ne s’agissait que de dépoussiérer un langage un peu suranné. Je me propose tout au contraire de pousser la marche arrière encore plus loin, de remonter, au-delà du XIXe, au-delà du XVIe siècle, jusqu’au Moyen Âge, jusqu’à ce XIIIe siècle de saint Thomas d’Aquin et même, à travers lui, d’aller jusqu’à saint Augustin !
En mettant en évidence l’étonnante consonance des écrits de Marie de la Trinité avec la grande tradition doctrinale reçue dans l’Église, j’entends non pas récuser, mais vérifier, sur le cas précis du sacerdoce, l’authenticité prophétique du message de Marie de la Trinités. Je me permets ainsi d’énoncer d’entrée de jeu la conviction qui motivé et sous tend le présent exposé : l’œuvre de sœur Marie de la Trinité sera d’autant plus novatrice et féconde pour l’Église aujourd’hui qu’elle se révélera profondément enracinée dans une théologie ancienne et éprouvée.
Pour le montrer, je ne me livrerai pas ici à une exégèse détaillée des textes de Marie de la Trinité que je suis encore incapable de faire, faute d’avoir tout lu. Je chercherai plus modestement à éclairer, à la lumière de la doctrine thomiste, certaines notions ou articulations théologiques que ces textes mettent en œuvre et qui nous sont parfois devenues obscures. Qu’en est-il donc de ce lien si étroit et pour nous si peu familier que Marie de la Trinité semble établir à longueur de pages entre le sacerdoce (du Christ et des chrétiens) et le sacrifice ?
La théologie de saint Thomas peut-elle nous aider à y voir plus clair ? Et, si oui, est-on alors en droit de déceler, par-delà les différences évidentes d’époque et de genre, une affinité réelle entre la réflexion spéculative de Thomas d’Aquin et l’œuvre mystique de Marie de la Trinité ? Pour répondre à ces questions, j’examinerai successivement trois grands aspects de l’unique sacerdoce du Christ : je m’intéresserai d’abord au sacerdoce vu comme médiation, puis je me pencherai plus longuement, parce que c’est le cœur de notre sujet, sur ce que Marie de la Trinité appelle le « sacerdoce d’immolation » et je terminerai par une évocation du « sacerdoce de gloire ».
Sacerdoce de médiation
Signalons d’emblée un fait qui n’est pas sans importance. Il se trouve que, parmi ses contemporains, saint Thomas est le seul maître à avoir consacré une question entière et propre au sacerdoce du Christ, dans sa « Somme de théologie », IIIa pars, question 22. C’est très probablement son commentaire de l’épître aux Hébreux, composé quelque temps auparavant, qui lui a fait prendre conscience de l’importance du sacerdoce pour la compréhension du mystère du Christ.
À l’article premier de cette question 22, pour établir que le Christ est prêtre, saint Thomas aborde le sacerdoce à partir de la notion de médiation : « L’office propre du prêtre, écrit-il, est d’être médiateur entre Dieu et le peuple » Le prêtre (sacerdos) est médiateur en tant, d’une part, qu’il transmet au peuple les dons divins (sacra dona) et, d’autre part, en tant qu’il offre à Dieu les prières des hommes et satisfait ainsi en quelque sorte à Dieu pour leurs péchés.
Saint Thomas montre ensuite que le sacerdoce ainsi défini comme médiation convient éminemment au Christ. C’est par lui, en effet, que les dons divins sont transmis aux hommes, selon une médiation qu’on pourra dire descendante, puisqu’elle va de Dieu aux hommes : par le Christ, Verbe incarné, nous vient la grâce, la possibilité gratuitement offerte et effectivement réalisée de devenir participants de la nature divine. C’est également le Christ qui a réconcilié le genre humain avec Dieu, en offrant sa vie sur la croix, mais aussi par toute son existence humaine et sainte, depuis sa naissance jusqu’à sa résurrection d’entre les morts, selon une médiation cette fois ascendante, qui va de l’homme Jésus à Dieu son Père et qui caractérise l’œuvre de rédemption accomplie par le Christ en notre faveur.
Le problème est que la notion de médiation, si précieuse pour éclairer l’agir sacerdotal du Christ, ne semble guère pouvoir s’appliquer à un éventuel sacerdoce des fidèles. Cette œuvre de médiation entre Dieu et les hommes est en effet propre au Christ, « l’unique Médiateur » (1 Tm 2, 5). Il est certes possible de recevoir une participation de cette unique médiation, mais alors c’est le sacerdoce des prêtres qui se trouve ainsi défini. Un peu plus loin dans la Somme, tout en affirmant que le Christ est le seul médiateur parfait entre Dieu et les hommes, saint Thomas ajoute : « Rien n’empêche cependant que certains autres puissent être appelés médiateurs entre Dieu et l’homme sous un certain rapport, c’est-à-dire pour autant qu’ils coopèrent à unir les hommes à Dieu d’une façon dispositive et ministérielle »
Et saint Thomas d’expliquer : « Les prêtres de la Nouvelle Alliance peuvent être dits médiateurs entre Dieu et les hommes pour autant qu’ils sont les ministres du véritable Médiateur et qu’ils dispensent aux hommes en son nom les sacrements du salut » Grâce à la notion de médiation, le sacerdoce des prêtres est clairement désigné par saint Thomas comme une fonction ministérielle et sacramentelle, non pas comme un état de vie qui envelopperait toute leur personne et informerait toute leur existence à la façon des vœux de religion. Simplement, cette fonction de médiation, exercée à la suite, au service et au nom du Christ pour le peuple chrétien, les prêtres ne peuvent l’exercer que s’ils y ont été habilités par un sacrement spécial, le sacrement de l’ordre.
Marie de la Trinité a parfaitement perçu cette caractéristique du sacerdoce des prêtres. Voici ce qu’elle écrivait le 25 juin 1941 :
« Dans les prêtres il y a comme un déversement du sacerdoce du Christ, et ils sont chargés d’aller aux âmes pour mettre ce sacerdoce en contact avec elles, afin qu’elles en reçoivent les effets – comme aussi ils sont chargés de représenter ces âmes auprès de Dieu. Ils sont médiateurs entre Dieu les âmes, et les âmes et Dieu. »
C’est exactement, littéralement même, la définition que donne saint Thomas du sacerdoce des prêtres dérivant du sacerdoce médiateur du Christ. Mais Marie de la Trinité ajoute :
« Pour moi ce n’est pas cela […] – mais je me sens aspirée au-dedans du mystère de son sacerdoce |…| pas pour en communiquer les effets au prochain par les sacrements, ce qui ne revient qu’aux prêtres – mais pour m’y livrer et entrer en participation de ce qu’il a de plus intérieur […]. Plus je serai assumée en ce sacerdoce, en sa totalité (de l’expiation du péché à la plus pure gloire du Père), plus je serai en réponse à ma vocation […]. »
Quel est donc cet aspect du sacerdoce du Christ « plus intérieur » que la médiation et vers lequel Marie de la Trinité se sent toute « aspirée » ? Elle répond : « C’est comme l’ordre du sacrifice qui monte au Père, depuis l’abîme du péché, jusqu’à son infinie sainteté. » À la médiation, qui définit le sacerdoce des prêtres, Marie de la Trinité fait ainsi correspondre le sacrifice, où elle reconnaît sa « vocation », sa propre participation au sacerdoce du Christ. C’est précisément ce thème du sacrifice que saint Thomas aborde dès le deuxième article de sa question 22, lorsqu’il se demande « si le Christ a été à la fois prêtre et victime ». La perspective thomasienne, jusqu’ici centrée sur la médiation, semble alors se déporter vers une conception du sacerdoce où l’idée d’immolation sacrificielle vient occuper le premier plan.
Sacerdoce d’immolation
Le problème soulevé par saint Thomas à l’article 2 de la question 22 est le suivant : un croyant reconnaîtra sans peine, sur le témoignage même des Évangiles, que la mort de Jésus sur la croix fut un sacrifice volontaire de sa vie ; mais en quoi un tel sacrifice relève-t-il de son sacerdoce ? Faudra-t-il admettre que le Christ fut le prêtre de son propre sacrifice ? Cela nous ramène, semble-t-il, à une vision beaucoup plus étroite du sacerdoce que celle qui vient d’être développée à l’article précédent avec la notion très large de médiation. Ici, en effet, le prêtre n’apparaît plus comme médiateur, transmetteur des dons divins, mais comme un sacrificateur ayant pour charge de mettre à mort la victime offerte.
Or, si le Christ est tout à la fois le prêtre et la victime de son propre sacrifice, n’en vient-on pas à dire qu’il s’est suicidé sur la croix ? Telle est la première objection de l’article : « II appartient au prêtre de mettre la victime à mort ; mais le Christ ne s’est pas tué lui-même ; il n’a donc pas été lui-même à la fois prêtre et victime. » La définition du sacerdoce par le sacrifice paraît bien nous conduire à une absurdité insoutenable pour la foi.
Dans sa réponse, saint Thomas va nous aider à sortir de cette fausse compréhension du sacrifice de la croix, non pas en niant que le Christ soit à la fois prêtre et victime, mais en redécouvrant une conception beaucoup plus profonde du sacrifice et, par là, de l’acte sacerdotal. Il commence par citer l’Écriture (Ep 5,2) : « Le Christ nous a aimés et s’est livré pour nous, s’offrant lui-même à Dieu en sacrifice d’agréable odeur » Cette donnée scripturaire, qui oblige à voir dans la passion et la mort du Christ un véritable sacrifice, saint Thomas l’interprète ensuite au moyen d’une citation de saint Augustin du livre X de « La Cité de Dieu », où l’évêque d’Hippone affirmait que « tout sacrifice visible est le sacrement [sacramentum], c’est-à-dire le signe sacré (sacrum signum) d’un sacrifice invisible ».
Autrement dit, la réalité essentielle du sacrifice ne réside pas dans un acte extérieur, que cet acte soit la simple offrande d’un objet matériel ou qu’il aille jusqu’à la mise à mort d’une victime. L’essentiel du sacrifice réside bien plutôt dans l’acte intérieur, dans l’attitude invisible et pourtant bien réelle d’offrande qui accompagne, soutient et motive l’acte extérieur ou visible. Dans cette perspective, l’acceptation libre de sa mort par le Christ a bien valeur de pure offrande sacrificielle, car elle se trouve tout entière commandée par son amour pour Dieu son Père et pour les hommes ses frères. Et c’est de cette façon que le Christ fut à la fois prêtre et victime de son propre sacrifice. Quant à l’acte physique de sa mise à mort, il n’eut en lui-même rien de sacrificiel, bien au contraire : « De la part de ceux qui l’ont tué, écrit Thomas, la passion du Christ fut une action maléfique ; mais c’est de sa part à lui, qui a souffert par amour, qu’elle fut un sacrifice. »
On trouve chez Marie de la Trinité une distinction toute semblable entre l’acte intérieur, proprement sacrificiel, du Christ en sa passion et l’acte extérieur de son supplice :
« Ce qui est essentiel au sacerdoce, c’est d’immoler par l’esprit […]. Et il peut bien y avoir distinction entre le sacerdoce qui immole par le dedans et les causes prochaines extérieures de l’immolation : car c’est manifeste dans la passion du Christ […]. Toute la valeur de ce sacrifice venait du dedans » (4 novembre 1941).
Ainsi donc, pour saint Thomas comme pour Marie de la Trinité, le sacrifice visible, extérieur du Christ n’a de valeur sacrificielle qu’en raison de l’acte invisible et intérieur qui donne à ce sacrifice son caractère sacerdotal et sa vraie puissance de salut. Dès lors, participer à son sacerdoce, ce sera, pour tous les baptisés, parti¬ciper à son sacrifice intérieur. Mais en quoi consiste au juste cet acte intérieur qui nous assimilera au sacrifice du Christ ? Saint Thomas répond dans la suite de notre article :
« Le sacrifice invisible c’est celui par lequel l’homme offre à Dieu son esprit, selon ce verset du Psaume (50, 19) : « Le sacrifice à Dieu, c’est un esprit brisé. » Et c’est pourquoi on peut nommer sacrifice tout ce qui est offert à Dieu en vue de porter l’esprit de l’homme vers Dieu. »
En une phrase, saint Thomas vient de donner à la notion de sacrifice toute son extension, la libérant du légalisme rituel qui trop souvent l’enferme. Par là même, il retrouve l’exigence biblique du « sacrifice spirituel » (voir 1 P 2.,5) que les prophètes de l’Ancien Testament ne cessaient de rappeler et que le Nouveau Testament a abondamment développée. De manière significative, à chaque fois que saint Thomas a l’occasion de traiter du sacrifice, c’est à saint Augustin qu’il se réfère. Or voici la définition qu’Augustin donnait du sacrifice :
« Le vrai sacrifice est toute œuvre qui contribue à nous unir à Dieu dans une sainte communion (sancta societatej, à savoir toute œuvre rapportée à ce bien suprême grâce auquel nous pouvons être véritablement heureux ».
« Heureux » : comme on est loin d’une vision étriquée, exclusivement centrée sur l’aspect douloureux ou coûteux du sacrifice ! L’acte du sacrifice n’est pas compris dans sa matérialité, comme un acte pénible destiné à apaiser Dieu, mais il est bien plutôt défini positivement comme une œuvre de communion, orientée de l’intérieur vers sa finalité, qui est l’union intime et bienheureuse avec Dieu.
La définition est tellement large qu’elle peut englober tous les actes de la vie chrétienne, pourvu seulement, assure saint Augustin, que ces actes soient pratiqués « pour Dieu » (profiter Deum). C’est bien ce que saint Thomas affirme de son côté lorsque, dans la deuxième partie de la Somme, il traite du sacrifice : « Tout acte vertueux, dît-il, prend raison de sacrifice du fait qu’on l’accomplit pour adhérer à Dieu en une sainte société »
Le danger d’une telle conception serait, par contrecoup, de diluer la notion de sacrifice au point de la vider de tout contenu. C’est pourquoi, tout en insistant sur la finalité spirituelle du sacrifice, saint Thomas ne perd jamais de vue le lien étroit qui unit l’offrande intérieure à l’action extérieure qui la signifie. Il rappelle d’abord que c’est toujours sur des biens réels et concrets offerts à Dieu que porte le sacrifice : biens de l’âme, biens du corps ou biens extérieurs.
Ensuite, saint Thomas s’attache à distinguer le sacrifice de la simple offrande en montrant que le sacrifice ne se contente pas d’offrir quelque chose, mais qu’il exerce une action effective sur la chose offerte. Selon l’étymologie qu’il donne du mot sacrificîum, il s’agit de faire quelque chose de sacré (sacrum facere), de rendre sacré le bien offert en le mettant à part, en le réservant pour Dieu et en le soustrayant, par cette action, à tout autre usage ou toute autre finalité. Or l’action propre qui transforme en profondeur l’offrande pour la faire passer de sa finalité naturelle à une finalité suprême, voilà formellement et très exactement ce qu’on appelle une immolation, et c’est ainsi qu’il nous faut entendre ce mot chaque fois que nous le ren¬controns sous la plume de Marie de la Trinité. En même temps, nous ne devons jamais oublier que, par-delà l’action exercée, l’immolation ne trouve sa finalité que dans le sacrifice intérieur qui vise à l’union intime, à la « sainte société » avec Dieu. Marie de la Trinité s’en explique d’ailleurs fort bien avec ses propres mots. Ainsi, dans ce passage des Carnets, à la date du 9 septembre 1941, elle note :
« L’immolation n’est autre chose que la perte volontaire de la propre finalité (la finalité particulière, spécifique de chaque être) – pour passer librement, exclusivement et effectivement à la finalité de la gloire de Dieu. Et à partir de là, […] l’action du Père devient prédominante – mais ce qui précède [l’immolation] revient en propre au sacerdoce. »
Trois jours plus tard, le 12, septembre, elle s’écrie :
« II faudra immoler tout. Si le sacerdoce n’avait pas immolé le Fils, à quoi aurait-il servi ? Et cependant, n’être aucunement absorbée par cette immolation ni repliée sur elle, mais alors même qu’elle progresse en moi, demeurer abîmée dans la gloire du Père, abîmée in sinu Patris. »
Marie de la Trinité fait ainsi de l’immolation sacrificielle l’acte par excellence du sacerdoce : « L’acte suprême du sacerdoce sur la nature humaine est l’immolation » , écrit-elle encore, le 27 août 1942.
Abordés directement, sans soubassement théologique, ces innombrables passages des Carnets exaltant l’immolation dans le sacerdoce du Christ et des chrétiens peuvent surprendre, déstabiliser ou mettre mal à l’aise. Mais notre incursion dans la théologie à la fois large et précise du sacrifice chez saint Augustin et saint Thomas nous a permis d’éviter les principaux contresens qui voilent de nos jours l’idée même de sacrifice ou d’immolation. Impossible désormais de confondre l’immolation avec une quelconque propension doloriste et malsaine à s’autodétruire : tel est à mes yeux le principal bénéfice d’une lecture de Marie de la Trinité qui puise à la source d’une tradition théologique éprouvée.
Il nous faut cependant aller plus loin : la notion de sacrifice, spécifiée par celle d’immolation, est-elle vraiment opératoire pour définir un authentique sacerdoce des fidèles ? Autrement dit, l’intuition de Marie de la Trinité pour qui le sacerdoce personnel s’exerce principalement dans l’immolation, cette intuition, ou plutôt cette expérience singulière, peut-elle être vérifiée, corroborée par la théologie spéculative ?
Oui, car la notion de sacrifice fournit « le point de vue le plus formel » et le plus englobant sur le sacerdoce chrétien, le sacerdoce étant « corrélatif au sacrifice ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’un des principaux artisans du concile Vatican II, c’est le théologien du xxe siècle qui a peut-être le plus contribué à mettre en lumière le sacerdoce des laïcs : le père Congar. À partir de la notion générale de sacrifice reçue de saint Augustin, le père Congar distingue deux formes de sacerdoce dans l’Église, chacune de ces formes se rattachant à l’unique et parfait sacrifice du Christ.
Il y a d’abord un sacerdoce intérieur et personnel que le père Congar appelle, en des termes quasi identiques à ceux de Marie de la Trinité, « sacerdoce spirituel-réel ». Ce sacerdoce s’accomplit dans l’offrande totale de soi, dans le sacrifice spirituel d’une vie sainte.
II y a ensuite un sacerdoce sacramentel, ministériel et hiérarchique qui habilite celui qui le reçoit à célébrer les « saints mystères » au nom du Christ (in persona Christi) et à dispenser ces mystères ou ces sacrements aux autres fidèles.
Sur quelle doctrine le père Congar s’appuie-t-il principalement pour établir ce partage entre le sacerdoce réel et spirituel des fidèles et le sacerdoce sacramentel et ministériel des prêtres ? C’est, à l’évidence, sur la doctrine même de saint Thomas, telle qu’exposée au traité de l’eucharistie, dans la Somme de théologie, à propos du « ministre de ce sacrement » (IIIa pars, q. 82). Je n’en citerai qu’un court passage, particulièrement éclairant pour notre sujet. Il s’agit pour saint Thomas d’établir que la consécration de l’eucharistie relève proprement et exclusivement du prêtre. Une objection le nie en faisant valoir une sentence attribuée à saint Jean Chrysostome selon laquelle « tout saint (tout laïc juste) est prêtre ». Voici la réponse de saint Thomas :
« Le laïc juste est uni au Christ d’une union spirituelle par la foi et la charité, non pas par un pouvoir (potestas) sacramentel. Et c’est pourquoi il a un sacerdoce spirituel pour offrir des hosties spirituelles, desquelles il est dit dans le Psaume (50,19) « Le sacrifice offert à Dieu, c’est un esprit contrit » ; et en Romains (12., 1) : « Offrez vos corps en hostie vivante. » C’est ainsi qu’on lit dans la première épître de Pierre(2, 5) : « [Vous êtes] un sacerdoce saint [pour] offrir des hosties spirituelles. »
Loin de réserver le sacerdoce aux prêtres, saint Thomas le regarde ici de plus haut, à partir de l’union au Christ, et il observe que cette union se réalise de deux manières : soit par un pouvoir sacramentel, reçu et conféré de l’extérieur dans le sacrement de l’ordre, pouvoir qui définit le sacerdoce des prêtres ; soit par l’exercice intérieur de la foi et de la charité, qui définit le sacerdoce de tous les fidèles.
Cette dernière forme d’union au Christ, qualifiée de spirituelle, n’a rien d’inférieur au « pouvoir » reçu par les prêtres pour consacrer, au nom du Christ, les espèces eucharistiques. Au contraire, elle souligne la réalité du sacerdoce des laïcs qui s’accomplit dans l’ordre de la grâce et des vertus théologales, c’est-à-dire au niveau ontologique le plus profond de la vie chrétienne comme au point le plus élevé de ses opérations. L’intérêt majeur d’une telle distinction est de situer clairement, sur des plans différents, les deux types de sacerdoce et les deux types d’offrande sacrificielle qui en découlent : sacrifice sacramentel offert en représentation du Christ par le ministre ordonné, et sacrifice spirituel de soi-même offert à Dieu dans une union personnelle au Christ par tout chrétien vivant de la grâce.
C’est très exactement à cette immolation et à ce sacerdoce d’union par les vertus théologales que Marie de la Trinité se sent appelée, par exemple dans cette parole reçue le 18 septembre 1941 : « Laisse-moi t’unir à moi » , et lorsqu’elle note, le lendemain : « Tous ces temps-ci, attrait continuel vers l’immolation – et à des actes très intenses de charité théologale. » Ou encore, dans cette réflexion du 3 mai 1941 : « Plus l’âme est introduite dans l’immolation, plus elle a part à l’union », une union dont la mesure, dit-elle, est la « foi informée par l’amour ».
On notera que, d’elle-même, Marie de la Trinité distingue en toute clarté, comme saint Thomas, sacerdoce d’union et pouvoir sacramentel : « Ce n’est pas le pouvoir sacerdotal sur les espèces du pain et du vin qui me revient, pouvoir de consacrer – mais la Très Sainte Humanité du Christ qui se dépose en moi afin que j’en dispose activement dans le sacerdoce même du Christ » (17 novembre 1941).
L’expérience mystique et les lumières prophétiques reçues par Marie de la Trinité sur sa participation personnelle au sacerdoce du Christ dans l’offrande et l’immolation trouvent donc non seulement un écho, mais une garantie solide et une puissante confirmation du côté de la réflexion théologique la plus structurée, depuis saint Thomas d’Aquin jusqu’au père Congar. Le Docteur angélique du XIIIe siècle et le théologien de l’Église au XXe siècle conçoivent l’un et l’autre le sacerdoce spirituel et réel des fidèles à partir du sacrifice d’immolation que tout chrétien, uni au Christ, fait de sa vie.
Seule cette saine théologie du sacrifice spirituel, dégagée de toute espèce d’inclination morbide et entièrement centrée sur la vie de la grâce en nous, permet à mes yeux d’éclairer et de comprendre le sens de certaines expressions qui reviennent le plus souvent chez Marie de la Trinité, comme « exercer le sacerdoce sur soi-même » ou « se servir du sacerdoce » . Comment, en effet, exercer sur soi-même le sacerdoce du Christ, comment y pénétrer et s’en servir, sinon par une participation personnelle et effective à l’offrande sacrificielle accomplie par le Christ en sa très sainte Humanité ?
Dotés des outils conceptuels que nous fournit la théologie thomiste du sacerdoce et du sacrifice spirituels, nous sommes enfin à même de percevoir sereinement, sans crispation inutile et dans toute sa profondeur, l’enseignement de Marie de la Trinité sur les exigences ultimes du sacerdoce d’immolation :
« [Le] sacerdoce mystique entraîne nécessairement, pour la plénitude effective de sa participation, une activité sur soi-même, et avant tout l’activité sacrificielle (= d’immolation) […]. Se dérober, ou se refuser volontairement à l’activité sacrificielle d’immolation […] serait une infidélité directe à cette participation toute gratuite et mystique, mais réelle, du sacerdoce même du Christ » (2 novembre 1941).
Sacerdoce de gloire
Je pourrais m’arrêter là, estimant que j’ai déjà atteint l’objectif que je m’étais fixé, qui étai d’apporter un éclairage thomiste sur les rapports du sacerdoce et du sacrifice chez Marie de la Trinité. Toutefois cet éclairage resterait partiel et insatisfaisant s’il laissait dans l’ombre l’aspect le plus original de la doctrine mystique ou prophétique de Marie de la Trinité sur le sacerdoce, à savoir le dynamisme interne qui conduit le sacerdoce d’immolation à s’accomplir en sacerdoce de gloire. Il y aurait un grave contresens, en effet, à figer le sacerdoce personnel ou mystique des baptisés dans la seule immolation sacrificielle. Marie de la Trinité ne cesse de dire au contraire que l’immolation n’a pas sa fin en elle-même, mais qu’elle consiste précisément à faire passer le sujet qui l’exerce à une finalité tout autre qui est la gloire même de Dieu, signifiée par l’image johannique du « sein du Père ».
Ce passage, ce mouvement d’un ordre de réalité à un autre, c’est d’abord le Christ qui l’opère, selon son propre sacerdoce et dans l’unité de sa Personne. À plusieurs reprises dans ses Carnets, Marie de la Trinité s’emploie à jalonner aussi précisément que possible les étapes qui marquent le passage du sacerdoce d’immolation au sacerdoce de gloire, ces étapes devant être comprises non dans le sens d’une succession chronologique d’états, mais comme les actes formellement distincts de l’unique sacerdoce du Christ.
Voici, à titre d’exemple, l’ordre qu’elle adopte te 24 mars I942 : Il y a d’abord, dit-elle, les opérations du sacerdoce de la terre : ce sont l’expiation (du péché), la restauration (de la nature humaine assumée par le Verbe) et l’immolation (acte suprême, on l’a vu, du sacerdoce terrestre). Mais il y a aussi les opérations du sacerdoce de gloire que sont l’action de grâce et la louange, aboutissant à l’adoration de Dieu, sommet de l’activité sacerdotale, où le sacerdoce du Christ rejoint en fait sa filiation, puisqu’il est passé de l’abîme créé et souillé du péché à un autre abîme, abîme de sainteté incréée, qui est le sein du Père.
Chacun des termes énumérés mériterait d’être étudié pour lui-même, mais cela nous entraînerait trop loin. Je me bornerai ici à chercher si nous pouvons trouver dans l’approche thomasienne du sacerdoce, non pas une stricte équivalence terme à terme, mais un mouvement similaire à celui que décrit Marie de la Trinité.
De fait, saint Thomas, pas plus que Marie de la Trinité, n’immobilise le sacerdoce du Christ dans un seul acte ou un seul effet. Dès l’article 2 de la question 22 consacré au Christ, prêtre et victime, il énumère les principaux bienfaits qui nous ont été procurés par le sacrifice du Christ. Il montre que, dans son Humanité, le Christ récapitule et accomplit en vérité les trois grands types de sacrifice préfigurés dans l’Ancien Testament : « sacrifice d’expiation » qui efface le péché, « sacrifice de paix » ou de « communion » qui nous rétablit et nous conserve dans la grâce, et enfin « holocauste » ou immolation totale qui unit pleinement l’homme à Dieu dans la gloire. L’œuvre du sacerdoce du Christ est donc, pour saint Thomas aussi, de nous faire passer du péché à la grâce et de la grâce à la gloire.
Saint Thomas s’attarde ensuite plus longuement sur le premier effet du sacerdoce du Christ, l’expiation du péché, à laquelle il consacre les articles 3 et 4 de la question 22. Mais il n’en reste pas là ! Les deux derniers articles de la question (5 et 6) portent, eux, sur l’éternité de ce sacerdoce, en référence au verset du psaume 109 appliqué au Christ : « Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech. »
Si le sacerdoce du Christ se réduisait à l’expiation du péché, il ne pourrait pas être dit éternel, puisque c’est dans le temps, une fois pour toutes, c’est par le sacrifice terrestre de sa passion et de sa mort sur la croix, que le Christ a accompli cette expiation et que, ressuscité des morts, le Christ ne meurt plus (Rm 6, 9). Saint Thomas s’oppose résolument à toute idée d’un sacrifice expiatoire du Christ qui se prolongerait indéfiniment dans l’éternité, car cela reviendrait à nier l’événement central de notre salut, la résurrection du Christ et son exaltation à la droite du Père dans le mystère de Pâques. Mais comment parler d’un sacerdoce éternel du Christ sans évoquer ipso facto l’image d’un Christ éternellement offert et immolé, quand on a lié à ce point le sacerdoce au sacrifice ?
Saint Thomas va résoudre la difficulté en distinguant deux choses dans le sacrifice offert par le Christ en son sacerdoce : d’une part, l’acte même d’oblatîon du sacrifice et, d’autre part, la consommation de ce sacrifice « qui consiste en ceci, que ceux pour qui le sacrifice est offert obtiennent la fin pour laquelle il est offert ». Aussi n’est-ce pas dans son oblation que le sacerdoce du Christ demeure éternellement, puisque celle-ci a eu lieu une fois pour toutes, mais c’est sa consommation qui est éternelle. Ce qui perdure, c’est l’efficacité plénière par laquelle il nous fait entrer dans la fin ultime de son immolation.
Cette fin ultime, nous l’avons dit à plusieurs reprises, ce n’est pas uniquement le pardon des péchés, ni même la restauration de notre nature blessée, c’est, plus encore, l’union parfaite avec Dieu dans la gloire céleste. Par là, saint Thomas s’achemine lui aussi – et nous achemine immanquablement avec lui – vers l’idée d’un sacerdoce de gloire. S’appuyant sur le livre du Lévitique et sur Pépître aux Hébreux, il donne à sa réponse cette grandiose perspective :
« Le Christ, est entré dans le Saint des Saints, c’est-à-dire dans le ciel même, et il nous a frayé la voie pour que nous y entrions par la vertu de son sang qu’il a répandu sur la terre ».
L’immolation, avec l’effusion du sang, s’est donc bien opérée « sur la terre » et dans le temps – Marie de la Trinité parlerait du sacerdoce terrestre -, mais c’est « dans le ciel », c’est-à-dire au lieu même de la sainteté et de la gloire divines, que cette immolation trouve son achèvement, sa consommation parfaite et ét
Comment ne pas reconnaître dans cette consommation éternelle de l’immolation terrestre ce que Marie de la Trinité appelle le sacerdoce de gloire ? On remarquera au passage que l’éclairage que je proposais joue maintenant dans les deux sens : ce n’est plus seulement par la théologie de saint Thomas que nous éclairons la mystique de Marie de la Trinité, comme dans le cas du sacrifice, mais c’est désormais sous la lumière « prophétique » de Marie de la Trinité et au moyen de ses propres catégories que nous pouvons lire et pénétrer plus profondément la doctrine de saint Thomas.
Ce sacerdoce de gloire éternelle, les chrétiens baptisés sont appelés à le connaître et à le recevoir, de la même façon qu’ils ont part, au cour : de leur vie terrestre, au sacerdoce d’immolation sacrificielle. Car notre besoin du sacerdoce, l’usage que nous en faisons et les bienfaits que nous en recueillons ne se limitent pas à notre existence ici-bas, mais se prolongent et s’accomplissent dans la vie éternelle. C’est ce que montre magnifiquement la réponse de saint Thomas à la première objection de l’article 5 dans la question 22 :
« Les saints qui seront dans la Patrie n’auront pas besoin d’une expiation ultérieure (ulterius expiari) par le sacerdoce du Christ, mais déjà pardonnes (jam expiati), ils auront encore besoin d’être portés à la perfection (consummari) par le Christ lui-même dont leur gloire dépend : c’est pourquoi on dit dans l’Apocalypse (21,23) : « la gloire de Dieu l’illumine », à savoir la cité des saints, « et l’Agneau est son flambeau »
Nous voilà confirmés dans ce que nous pressentions : il y a incontestablement chez saint Thomas une vision dynamique du sacerdoce, qui va de l’expiation du péché à la gloire céleste, et, si la formule « sacerdoce de gloire » revient en propre à Marie de la Trinité, saint Thomas exprime la même réalité en montrant que notre gloire à nous, notre pleine union à Dieu, « dépend » éternellement de la sainte Humanité du Christ, immolée une fois pour toutes en son sacerdoce.
Cette gloire que nous sommes destinés à vivre en dépendance éternelle du sacerdoce du Christ, Marie de la Trinité a su en parler mieux que quiconque, alliant à la rigueur du discours théologique une vigueur proprement prophétique et parfois même une vibrante ferveur poétique. Je lui laisse donc le soin de conclure, en pleine résonance et parfaite consonance avec les mots plus dépouillés de saint Thomas d’Aquin :
« II n’y a qu’un seul sacerdoce, mais ce sacerdoce a comme une double face […]. Une face, celle de l’immolation, a rapport à la terre, aux humains pécheurs – l’autre face, celle de la gloire, se réfère toute « ad Patrem immensae majestatis ». Tant qu’il y aura des humains en vie mortelle, il faut l’un et l’autre. Ensuite, il n’y aura plus que le sacerdoce de gloire. La splendeur de la gloire de ce sacerdoce remplira le sein du Père, puisque c’est le sacerdoce du Fils, et il remplira le ciel « in splendoribus sanctorum » […] » (23 septembre 1941).
« Quand tout sera fait de ce qui est à faire sur la terre – il restera encore tout à faire de ce qui est à faire pour le Père : adorer, louer, rendre grâce, s’immoler dans des transports d’exultation ! et tout sera à faire pour toute l’éternité d’éternité » (9 octobre 1942).