Épreuve et guérison
La maladie psychique
A partir du 2 février 1942, Marie de la Trinité est relevée de sa charge de maitresse des novices. Mère Saint-Jean accepte difficilement d’avoir à se passer de sa collaboratrice. Profondément dominicaine, c’est-à-dire contemplative dans l’action, elle ne comprend pas le retrait de Marie dans la vie d’oraison.
Pour Marie de la Trinité, la vie « dans le sein du Père » s’accompagne nécessairement d’une grande austérité concernant le jeûne et les veilles. Ces restrictions de nourriture et de sommeil qu’elle s’impose pour rester fidèle à sa vie d’oraison sont source de conflit avec mère Saint-Jean qui n’accorde pas toujours les permissions demandées quand elle juge qu’elles sont au-delà du raisonnable, surtout en cette période de la guerre où les restrictions posent bien des problèmes.
C’est dans ce contexte d’incompréhension, de grande fatigue physique et de fortes tensions psychiques que surviennent, au milieu de l’année 1944, les premiers signes de dépression chez Marie de la Trinité.
Un cercle vicieux s’installe : plus elle se sent mal comprise ou même suspectée, notamment par les sœurs conseillères, mais aussi par le père Motte, plus Marie se sent coupable. Peu à peu, les obsessions s’emparent de son esprit, la prière devient impossible. En 1946, elle sombre dans la dépression et cesse d’écrire ses carnets.
L’épreuve de Job
En 1945, comprenant qu’elle entre dans une longue épreuve, Marie de la Trinité apporte à mère Saint-Jean un dessin qu’elle a réalisé d’après un Christ en sa Passion, inspiré de Léonard de Vinci ; sous le dessin elle a écrit ses simples mots : « l’ayant recouvert d’un voile… » Le voile de l’épreuve va recouvrir Marie pendant de longues années.
La direction spirituelle
Marie de la Trinité consulte alors un psychiatre recommandé par des amis de sa famille. Le père Motte, déconcerté par cette maladie et incapable de résoudre d’aussi délicats problèmes, commet l’imprudence de communiquer au psychiatre des lettres qu’il reçoit de Marie, sa dirigée. Le plus grave est qu’il le fait à son insu.
La rencontre avec Lacan et la guérison
Des psychiatres, des neurologues, des chirurgiens sont consultés. Ils parlent d’électrochocs et même de lobotomie. Finalement, c’est la psychanalyse qui est retenue.
- Marie de ta Trinité à Paris pour traitements médicaux
Après essais avec divers psychanalystes, Marie de la Trinité s’adresse à Jacques Lacan, le 3 avril 1950. Elle le verra quotidiennement la première année, puis trois ou quatre fois par semaine jusqu’en décembre 1952. De ces séances, Marie de la Trinité a pris des notes, succinctes mais pleines d’enseignement pour comprendre la rencontre du psychanalyste et de la dominicaine.
Contrairement à ses confrères qui considéraient que le vœu de chasteté de la religieuse était le point névralgique de la cure, Lacan avait tout de suite compris que le nœud se situait dans le vœu d’obéissance.
A mère Saint-Jean, Marie écrit : « Je suis très en sécurité avec lui, car il comprend les choses spirituelles et ne les élimine pas comme les précédents (médecins), au contraire. »
Mais le fond de violence qui caractérise le tempérament de Marie de la Trinité ne se satisfait guère de la marche lente de l’analyse. Elle voudrait un traitement de choc pour être débarrassée de ses obsessions. Par principe, Lacan ne s’oppose pas à ces traitements mais il les déconseille.
Jouant le tout pour le tout, en avril 1954, à sa propre demande, Marie est hospitalisée à Bonneval où elle se soumet à des traitements chimiques dont le but est de produire une déconnections nerveuse susceptible de la soulager de ses obsessions. Cette désorganisation mentale fut à l’origine d’une terrible crise d’angoisse. Le choc fut si fort que les obsessions disparurent mais à leur place il ne restait plus rien… que le vide.
Les études et la formation de psychothérapeute entreprises par Marie de la Trinité à partir de 1956, vont beaucoup l’aider à se reconstruire. Elle prend en main sa rééducation à la sociabilité ; ses séjours à Flavigny où elle retrouve les sœurs qui l’avaient tant dénigrée, se passent bien désormais.
Lien avec bibliothèque : « De l’angoisse à la Paix Relation écrite pour Jacques Lacan » Arfuyen
Le retour à Flavigny
Lorsqu’en décembre 1959, Marie de la Trinité revient définitivement à Flavigny et reprend sa place auprès de mère Saint-Jean, elle est devenue une autre femme. Elle n’est plus cet être fragile si facilement déstabilisé par le regard des autres, si prompte à se culpabiliser et encore moins la femme colérique incapable de maitriser son agressivité face aux religieuses suspicieuses et inamicales.
Mère Saint-Jean retrouve en Marie une collaboratrice avisée et « la discrète gardienne de l’esprit de la Congrégation. » Ensemble, elles préparent l’intervention de la fondatrice au chapitre de 1967. Elles sont également préoccupées de l’évolution de la vie religieuse, ainsi Marie de la Trinité écrit : « Si rien ne change dans la vie religieuse quant à sa structure, elle disparaîtra – et cette disparition serait un grand dommage. Prions le Saint Esprit qu’il envoie du ciel un rayon de lumière, et transforme les cœurs, tous remplis de bonne volonté, mais dont beaucoup sont déformés par l’autorité. »
La mort de mère Saint-Jean en 1969 ainsi que le déménagement de la Congrégation à Luzarches l’année suivante, ouvre un nouveau chapitre, le dernier, de la vie de Marie de la Trinité.
Dans un premier temps, restée seule à Flavigny, elle se consacre à la recension des archives et manuscrits de mère Saint-Jean. Puis lorsque ce travail est en bonne voie elle en confie la finalisation à sœur Christiane Sanson qui deviendra l’historienne de la Congrégation et la biographe de Marie.
C’est en 1974, après en avoir parlé avec le père Beyer s.j., que Marie décide de revenir d’une manière suivie à ses précieux carnets. Elle les dactylographie en 8 exemplaires, ce qui représente un énorme travail de 1930 pages qui ne se terminera que le 17 décembre 1978.
Parallèlement, elle est l’âme d’un petit groupe de laïcs qui se réunit chez elle pour étudier et vivre l’évangile. C’est ainsi qu’elle termine sa vie de dominicaine missionnaire des campagnes, dans la simplicité et le dénuement d’une vie toute donnée, dans le secret d’une extraordinaire expérience mystique consignée dans les carnets.
Elle meurt d’un cancer le 21 novembre 1980, en la fête de la Présentation de Marie au Temple où l’Église célèbre l’entrée de la petite vierge Marie dans le Saint des saints.